Dans la collection Manuels Payot, Marc Augé vient de publier Les nouvelles peurs. Ces nouvelles peurs, liées aux violences politiques et sociales, technologiques, ressemblent par bien des traits aux anciennes peurs mais elles se diffusent beaucoup plus vite et génèrent des angoisses particulières.
" Il y a en effet deux sortes de peurs : celles qui sont induites par l'ignorance et celles qui sont déduites de la connaissance, ou, plus exactement, celles qui sont induites par le fait de croire qu'on croit, c'est-à-dire par la foi, et celles qui sont déduites du fait de savoir qu'on ne sait pas, c'est-à-dire de l'esprit critique et scientifique.
L'ignorance est complexe, et la peur naît souvent d'un excès de rationalité apparente et de mises en relation abusives : dans la recherche des causes, raison et déraison se conjuguent et se confondent. C'est le phénomène bien connu de la chasse aux sorcières, qui part de constats objectifs ( une mort, une maladie, un dérèglement climatique) et d'observations précises ( la bonne santé d'un autre, sa mauvaise entente avec le malade ou le disparu, éventuellement son humeur bizarre et des paroles imprudemment sibyllines) pour en conclure à une relation de cause à effet : court-circuit de la pensée dont procèdent tous les obscurantismes et tous les mouvements de panique...
La connaissance, elle aussi, est complexe parce qu'elle est constamment au contact de ce qui lui échappe et la provoque. Dans le domaine des sciences de la nature, les hypothèses et leur vérification permettent de progresser en déplaçant les frontières de l'inconnu. Dans le domaine de l'économie en général et de la gestion des hommes en particulier, l'ignorance et ses certitudes sont tentantes et faciles, la connaissance et ses doutes beaucoup moins. Quand on parle d'une politique passée comme d'une "expérience", l'expérience communiste par exemple, on use d'un langage trompeusement métaphorique ; le communisme n'a jamais été vécu ni conçu par ses responsables comme une expérience au sens scientifique du terme, c'est-à-dire comme la mise à l'épreuve d'une hypothèse provisoire et révisable... Le terme "expérience" ne peut pas s'appliquer non plus aux "leçons de l'histoire" qui permettraient d'établir un bilan et de faire le tri entre le positif et le négatif...
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