Le six octobre mille neuf cent
cinquante-cinq, la température minimale relevée à Paris par la station
météorologique de Montsouris était de neuf degrés virgule trois. Il pleuvait. A
trois heures du matin, la ville dormait d'un sommeil tout chiffonné. De longs
cris de sirène striaient les boulevards. Des portes claquaient dans les bouges
à l'unisson ordinaire des querelles. Des larmes coulaient au creux des lits. Et
moi je naissais à l'hôpital Broussais-La Charité. Tiré à grand peine par une
sage-femme hors du ventre de ma mère. Les pieds devant. Cette expression
réservée à la mort.
La lumière crue de la salle
d'accouchement, quasi blanche, blessait les yeux. Une goutte d'eau tambourinait
dans un lavabo. Le radiateur, qui chauffait mal, émettait des borborygmes
souffreteux. Un décor pour la fatigue de naître. La sage-femme, qui était aussi
une religieuse, ôta sa coiffe, s'assit sur une chaise et tenta de retrouver sa
respiration. Les petites mains d'une aide-soignante me bouchonnèrent comme on
bouchonne les veaux, langea mon corps avec ce que l'hôpital avait bien voulu
fournir, puis exprima elle aussi sa lassitude.
- Passera pas l'hiver.
La sage-femme ne répondit pas. Son
regard vague effleura le visage de la mère assoupie dont la poitrine battait
trop fort. Se posa un instant sur la pluie à la fenêtre. Une pluie poisseuse
comme si on l'avait mélangée à des restes de charbon. Qui encrassait les
silhouettes attardées dans la nuit. L'aide-soignante, contrariée, sortit en
marmonnant. Elle savait ce qu'elle disait. Tous les signes d'une mort prochaine
étaient là. Sur la peau déjà grise où des marbrures apparaissaient. Dans les
gestes aussi. Cette lenteur qu'ils avaient. Comme si le nourrisson vivait à
reculons ses premiers instants.
Deux heures plus tard, dans la salle
commune, l'infirmière palpa le front de la mère et prit son pouls. Elle courut
chercher l'interne qui maugréa. S'occuper des mères après l'accouchement,
surtout pour une simple fièvre, n'entrait pas dans ses attributions. Il y avait
assez à faire avec les bébés. Mais ce n'était pas une simple fièvre. Le médecin
reconnut tout de suite les symptômes de la tuberculose. Il ordonna l'isolation
de la mère dans une chambre particulière et, faute de place, je fus conduit
dans un couloir qui donnait sur la lingerie.
Ai-je vu, la porte étant restée
ouverte, l'amoncellement du linge sale jeté dans un coin ? Ai-je baigné dans
les mauvaises vapeurs des draps tachés de sang, des traversins auréolés des
sueurs qui avaient accompagné la souffrance ? Quelqu'un s'est-il arrêté de
pousser un charriot pour me donner un premier sourire, une première caresse ? Y
avait-il, dans ce couloir réservé au service, quelque chose d'un peu joli à
voir ? Une image de la ville ou de la campagne, punaisée au mur pour cacher la
misère du plâtre ? Une plante grasse même un peu malade ?
Aujourd'hui encore, alors que soixante
hivers auront bientôt passé, ces questions font trébucher ma langue. Je ne sais
pas ce qui m'est apparu quand je suis sorti de l'orifice maternel. Je ne sais
pas comment les images de mes premières heures ont déposé leurs sédiments dans
l'ébauche de mon cerveau. Elles marquent le début d'un long blanc à exhumer de
ma peau et de ma chair, de la mémoire de mon sang qui a tout retenu de ce
commencement. Un travail ou un jeu de patience, avec des mots dont les contours
trop friables pourraient leurrer ma conscience. Une quête, pourquoi pas, à
tâtons dans le faux comme dans le vrai. Pour continuer à jouer. Encore un peu.
( Je ne sais pas. Une reprise donc, mais pas certain que vous aurez la suite ici. C'est quand même un peu trop classico classique, patho pathologique. On verra. C'est un jeu, rien d'autre.)
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