" Crac, voici l'histoire. Vraie ou fausse, qui le sait ? Mais comme c'est une vieille histoire, il faut que tu l'écoutes en croyant qu'elle est vraie, même si elle est fausse."
Une formule rituelle pour ouvrir la voix d'un conte mais ce n'est pas un conte. Kenzaburô Oé, élève en primaire, boit fiévreusement les paroles de sa grand-mère. Elle raconte leur village forestier dans la montagne. Depuis la fondation en des temps reculés jusqu'à l'enfance de l'auteur pendant la deuxième guerre mondiale.
L'histoire est vraie bien sûr. Des éléments autobiographiques en attestent. Il y a très longtemps, le fils d'un chambellan et ses compagnons faiseurs de quatre cents coups ont été bannis de la seigneurie. Ils ont pris la fuite en mer avec autant de filles qu'ils étaient de garçons et, après un déluge de cinquante jours, ont bâti un village sur l'île de Shikoku.
La forêt constitue un écrin protecteur. Un immense bassin aménagé sur la rivière, utile à la pisciculture, sera appelé à d'autres fonctions... Une société autarcique se développe sous l'impulsion pour le moins énergique du "Destructeur" et de son épouse Oobaa. Des terrains marécageux sont asséchés puis ensemencés. Un jardin aux cent herbes, potagères et médicinales, voit le jour. Des pierres sont extraites d'une carrière pour tracer un chemin des morts qui monte vers les cieux. Des rivalités ne manquent pas d'apparaître entre la jeune garde entreprenante et la vieille garde plus conservatrice.
Les légendes ne tardent pas à prendre corps et mots, du vivant même des villageois de la deuxième génération. Sur le gigantisme des membres fondateurs. Sur leur stupéfiante longévité et leur disparition vaporeuse dans le royaume des âmes. Sur les mystères des saules qu'on appelle des arbres à boue.
Mais s'agissait-il vraiment de légendes ? Qui pourrait l'affirmer sans détour ? Quand la grand-mère meurt, Kenzaburô Oé devenu adulte et écrivain interroge les anciens du village, étudie des documents historiques, des oeuvres d'art. Le village a connu bien des vicissitudes au cours de son histoire. La seigneurie puis l'Empire du Japon ne pouvaient tolérer qu'une telle communauté vive en dehors des lois de l'Etat. D'autant qu'elle avait fini par s'enrichir grâce au commerce de la cire. Il fallait payer l'impôt ou mourir...
Aucune forteresse n'est inexpugnable. Malgré les sortilèges merveilleux de la forêt. Malgré la puissance des eaux fluviales déversées... Malgré la résistance farouche de toute une population.
Dans ce roman écrit comme une genèse (avec son déluge inaugural), Kenzaburô Oé ne nous livre pas un récit linéaire. M/T et l'histoire des merveilles de la forêt n'est pas un livre d'aventures. A la façon d'un Paul Veyne, il confronte les souvenirs et les sources documentaires pour élucider la structuration des mythologies. Il interroge aussi la mémoire de sa mère vieillissante et brosse avec émotion le portrait de son fils handicapé mental.
A la suite d'une opération de la boîte crânienne, Hikari garde à la tête une profonde cicatrice. Comme d'autres personnages dans le village, il y a si longtemps... Et là, c'est sûr, l'histoire est totalement vraie. Crac !
M/T et l'histoire des merveilles de la forêt de Kenzaburô Oé est disponible en Folio.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire