Trente
brefs passages chacun composé de trois fragments constituent Quatre-vingt-dix motifs de Frédérique
Germanaud. La narratrice écrit et lit dans sa maison sous le regard mi-clos des
trois variations de la Mémoire de Magritte. « Aucune souffrance ne marque
les traits de ce masque d’absence alors qu’une blessure à la tempe droite
laisse s’échapper une large tache de sang qui dégouline sur la joue jusqu’à
hauteur de la bouche ».
Et
c’est bien de mémoire dont il s’agit, ou bien de non mémoire, ou encore de déni
de la mémoire. Tout en la désirant, allez savoir, dans un trouble accommodement
entre autobiographie et fiction. Frédérique Germanaud reçoit de sa mère (jamais
nommée en tant que telle) une douzaine de photos « dans une enveloppe vierge »
et revisite son enfance qui, détournons les mots d’Artaud, ne lui appartient
que par éclaircies.
Le
ton de ce récit fragmentaire, très retenu dans ses épanchements, est parfois
d’une cinglante froideur. L’enfance de l’auteur est-elle aussi un masque d’absence ?
D’où vient qu’elle en fasse un fardeau ? Pourquoi pèse-t-il à ce point sur
son ventre auquel elle refuse l’engendrement ? Décidément, quelque chose
ne passe pas dans ces passages tissés d’empêchements. Les mères sans cesse
recommencées empoisonnent ce qui reste de l’embryon « par définition
parasitaire »…
En
sourdine à toutes ces questions, le lecteur découvre aussi les pérégrinations
littéraires qui accompagnent l’écriture de Frédérique Germanaud. Petit traité de la marche en plaine de
Gustave Roud. Petit traité de la marche
sous la pluie de Joël Vernet.
Mais comment marcher dans un temps sans appartenances en se
recroquevillant ? Où se trouve la frontière de l’épuisement si tant est
qu’elle existe ?
D’autres
figures traversent cette œuvre puissante qui laisse le silence sans voix :
Dagerman dont L’homme étranger ferme
les paupières comme la Mémoire de
Magritte, André du Bouchet, Paul Celan, Keith Jarrett et son concert à Cologne,
Frank Venaille, Sôseki qui [a par hasard obtenu une journée de sérénité], et le
voisin angevin Antoine Emaz…
A
la fin de ces soixante-dix pages qui en recèlent bien davantage tapies sous les
mots et entre les plis, dans une démultiplication des motifs sans ornements,
une nouvelle enveloppe vierge fait son apparition. Le lecteur écrira dessus le
nom qu’il voudra…
Extraits :
« …
rester concentrée sur l’écriture en cours. Elle aussi s’est faite fragmentaire
et détachée de son tout. Elle existe pourtant. Le poison entre de force dans
l’écriture, la polluant de ses doutes, de sa fausse douceur, de son faux
réel. »
*
« Regarder
en moi n’a jamais été mon fort. Aucune parenté entre ces deux territoires que
sont mon ventre et ma pensée. Mais ce qui se développe dans le premier
m’informe tout de même et paradoxalement de ceci : mon incapacité à
engendrer. »
*
«
Une lune complète encore à perdre du sang. Je suis exsangue, on ne saurait
mieux dire. Je n’ai pas l’appétit de vivre, comment, dans ces conditions,
pourrais-je avoir celui de perpétuer la vie ? J’ai l’appétit de toi. Je
prends soin de rendre mon corps à ses instincts. J’aurais accepté plus
facilement qu’un arbre pousse en moi. Un pêcher qui fleurirait rose chaque
printemps et dont les fruits viendraient grossir les seins que j’ai si menus. »
Quatre-vingt-dix motifs
de Frédérique Germanaud est publié aux éditions La clé à molette. Il coûte 13,
50 €.
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