mardi 11 juillet 2017

Retourner à Angoulême, 4

Résultat de recherche d'images pour "jean claude pirotte"Enfant, il venait là chaque automne, chaperonné par la vieille dame en gris qu'il appelait mémé. Le jardin vert. Il s'étonnait de ce nom mais n'en faisait pas part. On n'avait guère l'habitude, dans le village où il subsistait, des questions inutiles. Il y avait trop à faire avec les vaches et les veaux, les verrats, les cochons, et même les poules donnaient de l'ouvrage.

Au jardin vert, la vieille dame et l'enfant s'asseyaient toujours sur le banc du bassin au phoque et mangeaient à midi des tartines avec du jambon ou du fromage blanc. Une demi-pomme, une banane pas trop mûre, qu'un verre de limonade faisait couler, terminaient ce repas sur le pouce. 

L'enfant s'étonnait aussi du phoque : ses longues moustaches, sa peau luisante, les cris qu'il poussait. Etonnement tu encore, un autre prenant aussitôt la place dans sa tête venteuse. Les voitures par exemple : Aronde, Frégate, Simca Montlhéry, Panhard comme celle de l'instituteur, Traction avant plus noires que les corbillards, DS presque silencieuses et c'était comme une magie hors d'atteinte, surtout quand la berline était décapotable.

Puis deux heures sonnaient aux clochers à l'entour. La vieille dame et l'enfant se rendaient au cinquante-cinq rue de l'Arsenal. Il y avait là le magasin de vêture de l'assistance publique. On y fournissait le trousseau de l'année. L'enfant n'essayait pas les pantalons de gros drap. Ni les chaussures montantes pour l'hiver ni les sandalettes pour l'été. Un béret, survivance des années d'occupation, complétait le lot qu'on emportait le soir dans deux valises en carton bouilli.

Il ne fallait pas manquer le car qui partait de la place Bouillaud. Une heure de voyage à tressauter parmi des grands-pères à bretelles, des fumeurs de Gauloises papier maïs, des demoiselles de cinquante ans qui avaient raté leurs épousailles avec le seigneur, des boiteux et des boiteuses mal guéries de la polio, des cages à poules et des cages à lapin, des chiens pelés qu'on ne tenait pas en laisse.

L'enfant ne fermait pas les yeux. La fatigue le prendrait plus tard, vers ses quinze ans. Il regardait les champs, les poteaux en bois des lignes électriques, les bornes jaunes de la départementale, quelques bottes de paille oubliées, deux ou trois places où des buveurs piquaient du nez sur le Pernod.

Pensait-il à quelque chose ? L'assourdissant fracas de la carcasse du car l'amenait-il seulement à rêvasser ? 

Aujourd'hui, plusieurs décennies ayant glissé, instables durées, l'enfant juxtapose deux images :

Première image. L'enfant pousse la porte du cinquante-cinq rue de l'Arsenal.
Deuxième image. Au même instant, à deux kilomètres, sa mère qu'il ne connaît pas prépare le repas pour ses soeurs.

image de Jean-Claude Pirotte qui connut bien Angoulême et ses promenades.

image espritsnomades.com

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