Ahmed Ier, bey de Tunis de 1837 à 1855, né d'une mère sarde, parle mieux l'italien que le turc. C'est d'ailleurs en arabe qu'il correspond avec la Sublime Porte. Son grand projet est l'académie militaire du Bardo, ouverte dès le début de son règne avec des instructeurs français et italiens. Le souverain tunisien est fastueusement reçu par Louis-Philippe en 1846, année où la Tunisie abolit l'esclavage, deux ans avant la République française.
L'héritage d'Ahmed Ier est cependant moindre que celui de ses deux successeurs, Mohammed Bey, au pouvoir jusqu'en 1859, et Sadiq (Sadok) Bey, au règne long de vingt-trois ans. Le "Pacte de paix sociale" (Ahd al-aman) de 1857, placé "sous le double signe de la foi et de la raison", met un accent inédit sur la maslaha, l'intérêt général, donc le service public. La constitution, adoptée en 1861, est la première du monde arabe et elle devance de seize ans la constitution ottomane (qui sera par ailleurs très rapidement suspendue).
Ce texte fondateur consacre un pouvoir politique distinct de la religion. Il ne spécifie même pas que le chef d'Etat doive être musulman... C'est cependant l'instauration dans ce texte de la conscription qui va déclencher en 1864 une jacquerie majeure et la suspension de la constitution, sur fond de crise financière. L'oeuvre modernisatrice reprend une dizaine d'années plus tard... : réforme des douanes, de la justice et des propriétés islamiques (waqflhabous) et ouverture du collège Sadiqi (en l'honneur du souverain), institution laïque destinée à la future élite.
La France et l'Angleterre... ne laissent pas la dynamique modernisatrice portée par les dynasties de Tunisie et d'Egypte se développer. En 1881, la France impose son protectorat à la Tunisie. L'année suivante, le Royaume-Uni occupe militairement l'Egypte...
Islamistes et nationalistes
L'imprimerie arabe, implantée à Alep dès le XVIIIème siècle, ne concerne longtemps que les chrétiens d'Orient, pour des tirages très limités... Bonaparte prend soin d'amener en Egypte une imprimerie en caractères arabes, et même d'en transporter une lors de la campagne de Palestine, à des fins de propagande. Mohammed Ali fonde en 1822 l'imprimerie de Boulaq, au Caire. Les imprimeries arabes se multiplient au cours du XIXème siècle, avec la publication d'au moins 10 000 ouvrages, soit plus de titres que durant le millénaire précédent de l'histoire arabe.
Le passage de l'arabe à l'imprimé engage un processus de "laïcisation" d'une langue jusqu'alors confinée au cadre dogmatique de la mosquée ou de l'enseignement islamique. Même si ces textes imprimés demeurent souvent de caractère religieux, leur diffusion sans précédent dans un espace qui ne l'est pas en change le statut. C'est une langue nouvelle qui émerge, plus déliée, accessible à des cercles sensiblement plus vastes, ainsi mis en relation de manière inédite. La diffusion parallèle de journaux, même si leur tirage reste modeste, participe de ce flux de circulation des idées.
(pages 28 à 33)
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