Les maîtres-nageurs de la revue La piscine et sa cheffe de bassin Louise Imagine consacrent cette livraison automnale au thème des incidences et des coïncidences.
Comment appréhender le concept d'incidence s'il peut être dans le même temps la chose et la conséquence de celle-ci, dans la pluralité des mondes ? Comment opérer un partage pertinent entre le hasard et la nécessité ?
Fort heureusement, la littérature se fraie un chemin là où la science philosophique se prend parfois les pieds dans le tapis du réel.
" Tu saisis une limite mystérieuse, qui n'a pas de consistance, encore moins que celle du tain d'une glace où tu sembles regarder un autre toi-même avec lequel tu serais prêt à dialoguer.", écrit René Chabrière avec toute la lucidité que lui confère la perception de l'improbable.
Gabriel Franck évoque dans son journal [ce qui forme son rapport le plus saillant à l'existence ] : " le fait qu'il existe des coïncidences, quelles qu'elles soient, ainsi que [son] rôle passager qui était de les consigner, de les retenir dans le flux indéchiffrable des événements."
Dans son espace soudain fissuré, et voilà un titre qui illustre le thème à merveille, Françoise Renaud évoque une "somme d'événements minuscules enchaînés à vive allure et si étroitement reliés, enchâssés les uns dans les autres, qu'il aurait été impossible de les différencier."
La tentative de dissolution du flou, on le voit, utilise bien des chemins traversiers. L'errance d'Ulysse dans les siècles des siècles et les continents des continents sous la plume de Raymond Alcovère ( ô mer) en est un. Il rencontre les grands navigateurs portugais et entre à leur service, s'entretient plus tard avec Herman Melville et Alexandre Dumas avant de rendre hommage à l'aède grec à qui il a confié ses exploits.
Dans l'espace sans nom, Jérémy Taleyson imagine que la mairie de Bordeaux masque "tous les noms des rues, les numéros des portes, les panneaux indiquant les sites classés..." Cet effacement de toute direction s'étend à tout le département et génère pour les usagers des espaces bien des incidences. Le lecteur ne manquera pas de penser à Italo Calvino et Bernard Quiriny en lisant cet exercice de style rondement mené.
Claire Musiol dresse avec humour l'inventaire des coïncidences qui permettent la naissance d'un être humain. Un futur père et une future mère se rencontrent dans un supermarché où ils mettent en même temps la main sur la même pomme. Plus tard, c'est aux spermatozoïdes de jouer leur partie, chacun avec son brassard comme au grand bain. Voilà une équation très improbable. " Une chance sur 400 quadrillons".
La mort est également présente dans ce jeu de bonneteau que sont les coïncidences avec thanatos de Dona Co. Un prédateur en série rencontre une jeune femme dans un car. Il la séduit et imagine le supplice qu'il lui fera subir... Il pense aussi à son épouse qui l'a quitté car elle ne supportait plus son regard de bête. Il n'a jamais revu la fille qu'ils ont eue ensemble. Il croit qu'il ne serait pas devenu un tueur si Liza avait grandi à ses côtés...
Impossible évidemment de détailler tous les textes. En poésie, notons la présence des excellents Jean-Baptiste Pedini, Ce n'est rien, et Fabrice Farre, Je n'ai pas vu. Dans la catégorie des proses, where is my mind ? de Julien Boutonnier, la tâche de Francis Carpentier, ce jour-là de Joséphine Lanesem sont tous aussi remarquables.
Enfin, saluons le beau travail des plasticiens et photographes tels que Louise Imagine (La fille-forêt), Olivier Morisse (Résistance en territoire hostile), Amélie Guyot (Mucem) ou encore Olivia HB (Fantôme de la foi)...
Tous nos remerciements aux artisans Philippe Castelneau, Alain Mouton et Christophe Sanchez présents tout du long de cette piscine aux eaux parfois intranquilles. La revue est disponible à la vente sur ce site et ailleurs, grâce à la librairie Sauramps et à la galerie Z' parmi d'autres au prix de 15 €.
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