mardi 4 mai 2021

Souleymane Diamanka, Habitant de nulle part, originaire de partout

Souleymane Diamanka [ cultive son champ de rimes depuis sa tendre enfance ] dans la cité des Aubiers au nord de Bordeaux. Sa poésie élémentaire danse avec le feu et les saisons, les "néons de la nuit" et les puits d'eau de pluie. Elle parcourt toutes les terres et tous les ciels où l'humain s'abreuve aux légendes qui façonnent sa langue et sa mémoire. En cela, clin d'oeil à Verlaine, son entretien est souvent métaphysique. Souleymane Diamanka est un poète "hébergé par les étoiles" qui garde les pieds ici-bas.

Dans son dernier livre, Habitant de nulle part, originaire de partout, il est un pèlerin des chemins ordinaires qui offre la parole au nom du vivant dans toutes ses traverses. Avec le désir chevillé de [ rendre à l'obscurité une partie de sa transparence ] et la volonté "d'être humain autrement".

Souleymane Diamanka n'est pas qu'un rêveur perché avec les oiseaux. Il sait ce qui sue et souffre et saigne dans la ville des desdichados sans tours abolies. Il se souvient de la "clairière des oubliés" où son enfance gardait un "bétail de béton". Mais comment [ reprendre le fil de l'Histoire en dénouant les noeuds ] ? Comment sauver du désastre la planète qui "est une galerie d'art où chaque objet est un chef-d'oeuvre" ? L'amour d'Izy, peut-être, détient une partie de la réponse.

Habitant de nulle part, originaire de partout est composé de deux parties : L'hiver peul (textes du superbe album paru en 2007 chez Barclay) et La douleur n'est pas brevetée. Le champ des rimes a hybridé des poèmes où l'énonciation première voisine avec des tonalités plus sensuelles à la limite de l'élégie. Certains poèmes, comme Feuilles d'octobre, aux accents verlainiens, sont d'une forme classique, organisée en quatrains. L'espoir luit, en fermant les yeux pour écrire dans le marbre ou le sable. Pour mieux rappeler cette vérité essentielle plus que jamais rejetée de nos jours : "L'humanité ne compte qu'un seul peuple..."


Extraits :


La nuit mademoiselle danse dans les clubs

En tenue sexy comme dans les clips

Elle danse et son âme disparaît derrière son corps

Comme un astre pendant l'éclipse

Un bouquet de mes plus belles rimes

Pour la ballerine en talons aiguilles près du bar

Ses yeux sont deux pleines lunes bleues

Impossibles à quitter du regard

*

Je fabrique les souvenirs d'un vieil homme

Le vieil homme qui sera dans mon miroir quand je serai vieux

Je fabrique les souvenirs d'un vieil homme

Le vieil homme qui aura vu défiler sa vie avec mes yeux

*

C'est un poème écrit sur une feuille en lambeaux

qu'ils essaient de recoudre

Quand il lui dit

Je t'aime

Elle répond

Toi-même

*

L'amnésie vide le feu de la mémoire

Comme s'il n'avait jamais jailli

La clairière des oubliés

Debout sur le pont de Cracovie

Les yeux orageux je regarde les Aubiers

Les murs ont une mémoire

J'entends des souvenirs qui éclatent comme des miroirs


Cette chronique me conduit exceptionnellement à parler de moi car je partage avec Souleymane Diamanka quelques souvenirs. Celui d'un paysage monotone sur une route de campagne qui roulait vers la mer et cet autre du Pont de Cracovie où des habitants ont fait du ski lors d'un hiver très enneigé à la fin des années quatre-vingt.

Habitant de nulle part, originaire de partout de Souleymane Diamanka est publié aux éditions Points dans la collection dirigée par Alain Mabanckou et préfacé par Oxmo Puccino. Il en est à sa troisième réédition depuis février (c'est rare pour un livre de poésie) et a attiré l'attention des grands médias. Ce succès est mérité en ce siècle si jeune déjà à réparer. Souleymane Diamanka n'en a pas fini d'arpenter les voies des mots apprêtés au chant universel. Je m'en réjouis.

Le portrait de Souleymane Diamanka est une reprise de celui paru dans Sud Ouest Dimanche le 2 mai.


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