"Peut-être vivons-nous sans nous regarder / exister / sans nous voir abattus / sous les averses des années pour attendre ce seul / moment arraché à notre horizon / ouvert sur l'évidence d'une aile"
Dans Le vent souffle sur nos traces depuis toujours, Michel Bourçon arpente, sur la terre comme au ciel, les vastes étendues de notre ignorance. Quel est ce "lieu désert" qui nous habite si nous ne savons pas y reconnaître "nos rebuts" ? Les oiseaux, sternes et cormorans sous la nue, colverts et cygnes épousant les miroirs trompeurs de l'eau, se désignent plus sûrement que les émotions et les sentiments, du moins le croit-on. Le temps lui-même se perd dans le maillage de ses durées et "la mémoire agite des souvenirs comme autant de marionnettes désavouant notre existence". Quant aux étoiles, dont on ne sait jamais si elles sont vivantes ou mortes, nous manquons de mots pour dire ce qu'elles éclairent de nous en nous. Dérisoires comme toutes nos empreintes, elles finissent au matin becquetées par les oiseaux et nous abandonnent à "une attente sans objet".
Michel Bourçon, comme Artaud, ne s'appartient que par éclaircies et sa lucidité n'en est que plus foudroyante. "Peut-être naissons-nous dans l'esprit de chaque chose sans nous en rendre compte", écrit-il en son entretien métaphysique. Cependant, au bord de la Loire ou sur un coteau, le poète parvient à se sauver de la "vie à expier" en bénissant le nom des fleurs et des herbes, de l'ombre et de la lumière. La langue en ses balbutiements épris du ciel retrouve "l'incroyable douceur que peut avoir le monde". Le bonheur est à portée du désir si incertain soit-il. Passe un sourire de Joconde quand le temps vire à la neige. Passent aussi des femmes qui [rehaussent le calme des chambres] et [oublient soir après soir le souvenir de leur beauté]. Pourront-elles repousser les murs du crépuscule "qui font tourner en rond" ? En quelle attente ?
Une fois encore, Michel Bourçon nous offre un recueil tout en retenue et au plus près de la simplicité élémentaire pour dire l'universelle fragilité de la conscience d'être. Il est, en ce sens, un philosophe autant qu'un poète, l'un des meilleurs d'aujourd'hui.
Extraits :
l'oiseau révèle le monde
à lui-même
par ce qu'il inscrit
dans le sable
ou à l'ombre des nuages
*
seul
avec le jour impondérable
notre visage s'efface des vitres
frappées par la pluie
on retourne sur nos pas
sans retrouver notre ombre
on ne reconnaît rien
comme si on avait englouti le monde
et ignoré superbement
ne parlant plus à personne
en notre bouche
confisent les mots les plus simples
*
nos sentiments sont
comme une neige
qui nous emplit
de sa chute dense et muette
nos paroles sont traces
de pas d'oiseaux dans cette blancheur
nos cris s'ensevelissent en nous
étreignent le vide
dans cette saison blanche
qui s'accumule en nous
Le vent souffle sur nos traces depuis toujours de Michel Bourçon est publié aux éditions Aux cailloux des chemins. Il coûte 12 €.
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