Les éditions Aux cailloux des chemins viennent de lancer une nouvelle collection intitulée Feuillets de Nuits. Ce sont de petits livrets de huit pages sous une couverture à rabats. Ils sont disponibles par abonnement et à la vente directe lors d'événements particuliers (salons, lectures publiques...). Quatre parutions annuelles sont prévues (janvier, avril, juillet et octobre), comme autant de
cailloux numérotés sur les traverses littéraires de la maison. Le principe choisi par l'éditeur est celui du ricochet : chaque auteur publié dans la collection propose l'auteur suivant qui, s'il est accepté, propose un successeur et ainsi de suite.
Brigitte Giraud ouvre le bal avec Ainsi nous avons su. En voiture et en train, ses proses poétiques déroulent des paysages où extérieur et intérieur se fondent dans l'incertitude. La quête de sens et de mémoire trébuche sur des questions qui ne sont pas sûres. "Mais qui dira quoi de ce que nous sommes, des gestes du matin et de ceux du soir ?... Est-ce qu'il existerait des mots injustes ? Des mots sans chemin ?" Le ton de l'auteure qui "ne comprend plus rien à ce monde brisé", souvent grave, s'allège parfois d'une note d'humour. Le soleil n'est pas sans drôlerie quand il flotte et les formules un rien grivoises mais jolies d'un voisin sont des moments précieux. Comme un témoignage, une preuve même, que l'existence est indéniable.
Frédérique Germanaud prend la suite de Brigitte Giraud avec Se mettre à table. Ses poèmes au scalpel disent la solitude de l'attente dans une cuisine sous une ampoule jaune. Les lentilles accrochent au fond d'une casserole, le café est froid mais "la faim est un appui" pour l'esprit et le corps. "Une heure tranquille" passe parfois quand l'auteure éteint la radio et qu'une goutte s'écrase dans l'évier. Les mots cependant restent "collés au palais" comme une matière inorganique. Comment dire la douleur de l'enfant qui n'est pas né ? A qui confier sa présence sans objet, attablée elle aussi et regardant sa mère couler de n'être jamais advenue ? Ne reste qu'à [gratter du bout de l'ongle les petits ratages]du vivant. Pour "joindre les deux bouts du jour".
Brigitte Giraud et Frédérique Germanaud, en leurs déplis plus ou moins resserrés, disent l'âpreté du métier de vivre quand la mort frappe sous les tentes le long des voies ferrées et dans les allées d'un marché de Noël. Si la réalité manque de bords à saisir, il faut en inventer. Un bol par exemple, un peu d'essentiel y restera. Une assiette aussi, avec la "tendresse du pissenlit". Dans le mouvement imprévisible des ricochets.
Le lecteur, de l'une à l'autre de ces deux écritures, sera forcément ému. Il ne faudra pas questionner son silence. Les grandes émotions n'aiment pas le bruit.
Chaque Feuillets de Nuits coûte cinq euros.
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