dimanche 7 août 2022

Lima escrita : arquitectura poética de la ciudad 1970-2020, Carlos Villacorta Gonzales

Ce livre est une anthologie qui visite et revisite l'architecture poétique de la ville des années 1970 aux années 2020. Carlos Villacorta Gonzales en est le maître d'oeuvre et d'ouvrages. 

"Toute ville mérite des poèmes qui parlent d'elle, de ses habitants, de ses bâtiments, de ses rues, de l'expérience urbaine qui va du désir à la réalité puis au rêve. Ce registre porte la marque des citadins qui la traversent et témoignent avec leurs mots de leur cheminement personnel."

L'anthologie est divisée en sept parties : La ville de la grace, Districts, Liméniens, En quelque vieille rue de Lima, Passants, Hors les murs et Saisons

La ville, cette invention chère à Italo Calvino, est d'abord un portrait global de la joie en sa jeunesse malgré la violence du chaos urbain. S'en suit un essai de topographie de quelques quartiers (la ville en compte 43), dans le flou à l'intérieur même des espaces urbains. "Où commence et où finit la capitale ? Quelles sont les voix qui déambulent ?", s'interroge Carlos Villacorta Gonzales. Et pourtant, les poètes y reconnaissent leurs voisins, les gosses qui jouent avec une balle de chiffons ou les chats espiègles du parc Kennedy.

La troisième partie nous montre quelques personnages de l'enfermement urbain, déchus de toute citoyenneté et même du droit de vivre. N'oublions pas que la ville est défigurée par le libéralisme le plus outrancier depuis une trentaine d'années. Les vendeurs ambulants sont chassés des rues, le nouveau Lima doit être propre pour aborder les mirages économiques du vingt-et-unième siècle. Puis des passants passent ou ne passent pas, la déroute urbaine brise les lignes changées en chimères. Ainsi, une voiture tourne inlassablement autour d'un rond-point, folle toupie des rêves impossibles.

Et pourtant, En quelque vieille rue de Lima, des rencontres amoureuses ou simplement érotiques ont lieu sous le "soleil retrouvé" ou [dans le gris silence du soir venant]. Il n'en va pas forcément de même Hors les murs. "On rencontre là-bas les migrants, les exilés, mais aussi ceux qui parlent depuis les lieux invisibles, comme les falaises et les récifs de la Costa Verde ou le désert à l'entour, et c'est, dans la même durée, la ville." Pour accomplir, peut-être, les rêves dont on rêve.

La septième partie de l'anthologie, Estaciones, rappelle ce constat que font la plupart des Liméniens. Il y a une seule saison par an : la brume. Le visage de la ville est si éphémère qu'il semble manquer d'existence. 

Et Carlos Villacorta de conclure pour sortir du labyrinthe. "Lima, la ville du mirage, est un palimpseste de la mémoire où vivent ensemble plusieurs générations familières. Voilà le chant polyphonique dont j'ai voulu témoigner dans ce livre, celui de la ville qui parle et chante, qui tremble et songe, qui aime et désire, qui garde pour elle ses secrets les plus enfouis."

Extraits :

Voilà que s'ouvre la nuit.

Voilà que s'ouvre le temps. 

Voilà que s'ouvre la grande porte de Lima.

Un grondements comme des ciels qui craquent,

comme des hommes qui grincent.

Ecoutez les petits animaux et les hommes bannis, voilà

que s'ouvre la porte de Lima.

Ouvrons les yeux. Un seul cri encore signe unique de l'humaine

souffrance,

et le premier homme sera passé.

Avec son chargement craintif de grigris et d'arc en ciel, eux,

les exilés,

voilà que nous ébranlons la porte de Lima. (Cesáreo Martínez)

*

Le paradis des poètes est plein de femmes qui vont au marché

Et de petits vieux qui t'observent en douce depuis leurs fenêtres

          /comme d'anciens revenants 

Peut-être ont-ils écrit des vers en un temps que je n'ai pas connu

Le temps où ma mère petite fille encore se  promenait en tenant

          /un singe par la main

Il n'y a plus de singe aujourd'hui

Et les rêves sont morts en elle (Victoria Guerrero)

*

Rimbaud est apparu à Lima le 18 juillet 1972. 

Il est venu par la rue basse avec un pardessus noir et une paire de bottines marron.

On l'a vu à la Colmena distribuer des tracts pour la grève des maîtres d'école et marcher tristement avec les ouvriers cordonniers de l'usine ElDiamante Y Moraveco S.A., réapparaître

sur la petite place

San Francisco à donner à manger aux pigeons et dans une cafétéria où il émiettait du pain dans un café au lait alors qu'il relisait un journal du soir entre étonnement et stupéfaction. Les gens qui l'ont vu affirment qu'il était fatigué et qu'il fumait comme un condamné cigarette sur cigarette. (Jorge Pimentel)

*

Avoir 30 ans ne change rien sauf qu'on se rapproche de l'attaque cardiaque ou de l'ablation de l'utérus. Maladies mises à part

Nos intestins coulent et passent de l'être au néant.

Voilà que je me réveille de nouveau à Lima, femme encore à mesurer sa taille dans les vitrines et préoccupée comme beaucoup par le va-et-vient de son cul transparent.

Lima est une ville comme moi une utopie de femme. (Carmen Ollé)

*

L'anthologie Arquitectura poética de la ciudad 1970-2020 a été publiée en novembre 2021 par Intermezzotropical au Pérou. Le prix n'est pas indiqué.

intermezzotropical@gmail.com

PS : Je suis le traducteur/adaptateur des poèmes et des citations de Carlos Villacorta Gonzales.




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