mardi 16 mai 2023

Hiroko Oyamada, L'Usine


Une jeune chercheuse en linguistique est embauchée à l'Usine au service de reprographie pour broyer les documents périmés. Un jeune chercheur en biologie et en taxinomie des mousses est embauché à l'Usine au service des espaces verts pour végétaliser les toits des entrepôts. Titulaire d'une licence, un troisième individu est embauché à l'Usine au service documentation pour corriger au stylo rouge toutes sortes de dossiers sur toutes sortes de sujets.

Le lecteur de L'Usine de Hiroko Oyamada comprend très vite que quelque chose ne va pas. C'est  quoi cette usine plus étendue qu'une ville ?   Quel est ce fleuve sans nom qui la traverse et dont on ne voit rien d'une rive à l'autre ? Et que fabrique-t-on dans ce dédale sillonné en permanence par des nuées d'autobus ? Le mystère reste entier jusqu'à la fin du roman. Et il n'y a pas que celui-là...

Les canaux de l'Usine sont infestés de ragondins énormes. Des lézards pullulent dans les blanchisseries et se nourrissent "des résidus de lave-linge contenant de la lessive et des protéines, ainsi que des fibres textiles". Et puis il y a les oiseaux noirs. On dirait des corbeaux mais ils ressemblent plutôt à des cormorans. Immobiles, serrés les uns contre les autres, ils ne quittent pas l'Usine des yeux. Attendent-ils quelque chose ? Constituent-ils une menace ?

Les trois nouveaux employés s'inquiètent, posent parfois des questions qui restent sans réponse. Puis ils s'habituent. D'autant que le travail n'est pas contraignant même s'il est absurde. Le chercheur en biologie ne végétalise aucune toiture et organise seulement de rares visites pour les écoliers sur le thème des mousses. Le correcteur reçoit souvent le même texte à corriger, avec des fautes de plus en plus nombreuses et de plus en plus grossières. Quant à la préposée au broyage du papier, elle se demande à quoi elle sert, un robot pourrait faire la même chose. Alors elle s'interroge sur son rapport à la société et au travail. Quelle est la place de l'humain dans une organisation aussi vaine en ses rituels ? Quel bonheur possible s'il est réduit aux nécessités de la subsistance ?

Le roman L'Usine se présente sous la forme de chapitres compressés. Narrations et conversations sont coulées dans un même bloc. Le passage d'un personnage à un autre s'opère souvent sans transition marquée et le lecteur tarde à s'en apercevoir. C'est évidemment intentionnel. Hiroko Oyamada choisit de l'égarer comme un bloc compressé dans la forêt des signes où s'estompe le sens avant que d'être ressaisi. Du reste, il y a aussi une vaste forêt dans l'Usine, avec un rôdeur très particulier... 

Traduit du japonais par Silvain Chupin, ce roman qui navigue en eaux troubles entre Kafka et Perec est publié dans la collection de poche de Christian Bourgois éditeur. Il coûte 9 €.

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