mercredi 23 octobre 2024

Sylvain Prudhomme, Coyote


"Depuis dix jours que je voyage, je peux faire le compte : j'ai été pris en stop par 18 Mexicains, riches, pauvres, anglophones, hispanophones, illégaux, régularisés, résidents, naturalisés américains. Je peux aussi faire le compte des Blancs qui m'ont pris : 1."

Coyote de Sylvain Prudhomme raconte le long périple de Silvano en stop de part et d'autre de la frontière mexicaine. Soit 2500 kilomètres de la côte Pacifique à la côte Atlantique. Il rapporte les propos des automobilistes à l'état brut et publie leur photo. En ce sens, le livre relève autant du journalisme que de la littérature. Les rencontres, brèves ou longues, sont souvent émouvantes dans la narration des joies et des peines ordinaires. Un camionneur, des petits patrons, un dealer d'herbe, un fournisseur de matériel informatique, un mécanicien, un couple de retraités amateurs d'art et un autre qui rachète des locaux commerciaux après faillite, un ouvrier dans le bâtiment, un vieux chauffeur de taxi, un agent d'entretien, un touche-à-tout qui rêve d'écrire "un bouquin irrésistible"... défilent à la barre du témoignage. 

La question des migrants est omniprésente. À Gila Bend en Arizona la Bordel Patrol, surnommée les Green Beans, les haricots verts, traque les migrants avec ses caméras thermiques et ses radars. Ce sont des pollos (poulets) ou des mojados (mouillés) "à cause du fleuve qu'ils doivent traverser", dit José. 

Quant aux passeurs, on les appelle les coyotes. Leur tarif de base s'élève à 6 000 dollars. Il faut en ajouter 5 000 de plus pour bénéficier de quelques haltes dans des fermes et encore 5 000 pour être véhiculé sur une partie du trajet. Sous le soleil écrasant du désert où grouillent les serpents et les scorpions.  Les poulets sont nombreux à mourir. On ne sait pas combien. On ne peut pas savoir. Les corps ne sont jamais réclamés.

Et il y a la violence de certains monologues. Celui de Great à Granite Hills en Californie : "T'as la trouille comme une merde. Dis pas non. Dis pas non ou je te jure je m'énerve." Celui de Mike à Tucson : "... les Mexicains sont de la merde mon gars. Des menteurs. Des drogués. Rien de plus que des putains d'animaux." Celui de Simon à El Paso au Texas : "Pardon c'est bête mais pour nous les Français c'est des gens faibles, efféminés. Un peu homosexuels quoi." Ou, encore, celui de Sandra, propriétaire d'une station-service qui menace d'appeler la police parce que Silvano fait du stop : "Private property. Stop botherin' my customers please. Not even five minutes. NO. Go away now. Ya hear me GO AWAY."

Enfin, dans presque tous les soliloques, Trump et son mur. "Este gran hijo de la puta madre". Mais tous les avis ne sont pas aussi tranchés. "... ce que j'en pense de ce mur, c'est difficile. Ce sera pas très efficace c'est sûr. Et en même temps... avec le nombre de Mexicains qui essaient d'entrer. Bien sûr moi aussi je suis Mexicain... Oui mais moi je travaille, regarde : je paie des impôts.", dit Mauricio. Melanie et Martin, entrepreneurs qui s'exercent parfois au tir au fusil, admirent le businessman, "Ce mec a des couilles", et détestent le diplomate, "Il ose mais presque toujours c'est pour faire des conneries plus grosses que lui". 

De nombreux passages, chacun excédant rarement une page, offrent au lecteur des parenthèses dans le flux des paroles. Silviano décrit ses attentes interminables et sa solitude au bord des routes, note quelques faits divers, "Baja California : déjà 41 attaques contre la police municipale cette année", observe les décors. Une aire d'autoroute "où même le conducteur de la pire épave ne voudrait pas s'arrêter". Les grillages et les miradors de Ciudad Juárez avec le Fleuve Grand qui "n'est plus qu'un filet d'eau tout entier bétonné". Il partage aussi quelques cocasseries. Alors qu'il hésite à louer une chambre dans un motel, une mère de famille croit qu'il a faim et lui offre à manger : "Come, mi hijo. Pagamos para ti, no te preocupes". Parfois, le voyage est plus souriant, Silviano se sent bien. Comme à Eagle Pass où il s'endort "sous un caoutchouc aux feuilles épaisses, charnues, gorgées d'eau". 

De péripétie en péripétie, Silviano revisite aussi sa mémoire cinématographique. Arrêté par un flic, il pense à Rambo. Au fond, c'est "une histoire de stop qui tourne mal". Mais lui n'a pas fait le Vietnam, il file doux, bredouille des excuses. Puis, un rien angoissé, il compare son aventure à Easy Rider. Tout se passe merveilleusement bien pour les hippies. La liberté et l'amour vont plus vite que leur moto. Avant que tout vole en éclats. Les fusils à pompe ne font pas dans le détail. Les 9 tueurs à gages de Sicario non plus. Ceux de No Country for Old Men pas davantage. Du sang toujours du sang. De l'argent toujours de l'argent. Alors Silviano a envie de revoir des films d'amour. Paris, Texas par exemple. Pour damer le pion au désespoir...

Coyote de Sylvain Prudhomme, alors que les États-Unis risquent de sombrer dans la dictature, veut croire que le pire n'est jamais certain. Publié aux éditions de Minuit, il coûte 17 €.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire