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Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

jeudi 1 mai 2025

Nadège Cheref, La chair équivoque


La chair équivoque
est le premier recueil publié de Nadège Cheref. Le titre d'emblée interpelle. Une telle épithète trouble la perception de la chair. Le lecteur pressent  qu'elle a plusieurs doubles-fonds, qu'elle trompe autant qu'elle est trompée, qu'elle ne fait pas corps avec la langue. Et son imaginaire est saisi dès le premier poème. "L'amour n'est que substance indécise, et je t'ai aimé, malheureuse, comme un chien galeux". Quand les amours sont chiennes, la peau n'est que pustules et bubons qui déchirent le cri.

De nombreux animaux, petits et grands, rampants ou volants, vont de guingois en cet ensemble : [un cheval estropié, un vol d'oiseaux éreintés, des papillons flétris, un lit de bestioles effarouchées,  des poissons flasques et mornes]. Comment résister à ce bestiaire où l'amour, implacable Janus, épouse les visages de la mort ? Que peut la chair du corps qui ne va pas l'amble avec celle des mots ? La blessure d'amour ravive les plaies des enfances et c'est la double peine. Tout est dépeuplé dans "les plaines arides". Les larmes "ont le goût de la poussière et du chaos". "J'imagine une vitre qui s'ouvre sur la brume oublieuse", écrit Nadège Cheref. Et voilà l'équivoque suprême dont découlent toutes les autres. Cette vitre est sans tain dans les neurones aux miroirs [dissimulés]. La mémoire opaque oublie mal. Quand "l'obscurité a des allures de danse nuptiale", la lumière bat de l'aile parmi les ombres qui ne sont pas toujours "radieuses". Le désir et le manque, en leurs éclats de verre, perdent le fil des géographies sentimentales. Est-ce ainsi que la "goutte du bonheur" devient "la goutte du condamné" à perpétuité ? Et l'auteure se représente en Sisyphe dans le mouvement détraqué des douceurs et des flétrissures. "La douleur d'être aimée" engendre bien des fatigues, à réconforter qui sait dans quelque rhétorique, où la parole, qu'elle murmure ou qu'elle crie, ne serait pas suffoquée.  

Et cependant, malgré les trahisons, malgré le sentiment "de ne pas être de ce monde", le métier de vivre appelle à la vie et à la liberté, sans "espoir aveugle" ni "ode à l'oubli". La volonté, si fragile et indécise pourtant, retient la chute au bord du naufrage. Le doute reflue dans la chair où suintent encore les sanglots. Et la poétesse, absolument "parmi les vivants", peut s'offrir "sans regret aux ardeurs du ciel qui [la] bercent. Comme l'enfant, peut-être, pas né encore à la jouissance. 

Extraits :

Ce monde au coït perdu,

où le désert ne chante plus, 

dessine des cercles autour de mes yeux.

Et dans la folie douce de l'automne,

les feuilles n'ont plus la même respiration.

Elles suffoquent.

Tu ne dis rien.

Peut-être me regardes-tu ?

Je ne te vois pas.

Juste des ombres courbées,

étourdies,

sous le regard de la lune assoupie,

qui séduisent et palpitent au rythme des grillons.

                    Sans jamais fléchir, ni mourir.

La liberté m'aspire.

*

La difficulté c'est toujours de saisir le moment

où l'on voudrait ne plus exister,

où l'on voudrait s'échapper

dans l'air qui troue le temps.

La musique est toujours la même,

on attend,

on suffoque,

on gémit,

on sent parfois le grésillement d'un orgasme liquéfié.

Et quand le jour se lève,

il a toujours la même odeur,

l'odeur du ventre de la terre.

Alors, on plie son angoisse

comme un linge humide,

dans un lit d'asphalte et de lumière,

juste pour s'étourdir, immobile,

dans l'innommable. 


La chair équivoque de Nadège Cheref, avec çà et là quelques saveurs de sucre d'orge, est publié aux éditions Tarmac. L'image de couverture est de Nicole Grin, les peintures intérieures de Jean-Claude Hérissant. L'ouvrage coûte 15 €.

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