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Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

mercredi 18 juin 2025

Galien Sarde, Le Rouge et Laure


Comment être à la fois possédé et dépossédé dans les flux de l'amour sans cesse recomposé ? "Peut-être aujourd'hui, dans l'heure à venir, attendu les circonstances, va-t-il pouvoir enfin rentrer en elle, atteindre son écran de fond.", se dit le narrateur qui pense à Julien Vance pensant à Laure. "Une télépathie des abîmes" en murmurerait qui sait deux ou trois mots, aussitôt effacés.

De toute façon, il fait trop chaud à Lagord près de La Rochelle en juillet 2008. Même le silence est "nébuleux". Et "rien ne bouge, dedans et dehors, dans le jardin, sous le ciel bleu, éclatant. Cependant, celui-ci vire, l'air de rien, se fonce insensiblement - sous peu, il sera d'étain." Le décor ainsi posé, l'écriture de Galien Sarde glisse lentement vers les chambres fermées de cette maison dont l'escalier semble suspendu au bord du vide. Et le mystère saisit aussitôt le lecteur. 

Dans la dernière chambre, le cadavre d'un homme flotte "à la surface" d'un futon immense "comme une île". La présence de deux armoires rouge sombre soulignent l'étrange étrangeté du malaise. Le mort, Gaspard Vance, est le père de Julien. Le mort était le compagnon de Laure, dont la beauté magnétique n'en finit pas d'envoûter Julien.Tous les éléments d'une dramaturgie policière sont réunis. D'autant que Gaspard, propriétaire prospère de plusieurs restaurants huppés, a parfois navigué en eaux troubles au point d'avoir été victime d'un incendie criminel et d'une attaque à main armée. D'autant que son deuxième fils, Baptiste, n'est pas tout à fait vierge côté casier judiciaire... Une enquête est donc ouverte, diligentée par le commissaire Bloom et l'inspecteur Glass. Lequel est subjugué par la sensualité de Laure. "Une femme si belle, il n'en avait jamais vu, sinon en film, et encore, en serait-il à se demander. Il ignorait qu'il fût possible d'en croiser une pareille dans la réalité, qui, de ce fait, semblait trembler, vaciller."

Et c'est ainsi que Le Rouge et Laure tremble et vacille tout du long. Les corps, pourtant souvent énoncés dans leurs déplacements par la caméra interne de Galien Sarde, manquent d'assurance dans l'incarnation et tout autour d'eux se teinte d'irréalité. La piscine, avec ses "lampes sous-marines éclaircissant le fond de l'eau de façon surnaturelle", trouble les [écrans de fond]. La terrasse descendant par degrés vers le jardin luxuriant ajoute là ses notes suffocantes. Alors le corps de Laure, encore et encore, top rouge ou non, persiste derrière les rétines avec ses "jambes candidement violentes". Et le soupçon grandit, semant un grand désordre au cœur des durées. 

L'écriture de Galien Sarde, en ses longs déplis souvent enchâssés, entretient jusqu'à la fin ce vacillement des durées, au bord de la piscine et sous des chaleurs plus lointaines. L'emploi du conditionnel, notamment, est récurrent dans le suspens des anticipations. "Laure se tourna vers lui, et ce qu'il en reçut brocha un rêve irréversible, qu'il n'oublierait jamais et qui le toucha si vivement que toujours, par la suite, il s'immiscerait entre elle et lui, cliché d'orage, vue perdue, essence au-delà de ses changements, Laure, claire icône absolue". Mais qu'y a-t-il vraiment sous le fond de l'écran et sous le fond de la piscine ? Du rouge ou du noir ? Du rouge et du noir, les deux forcément opaques en leur tain ? Qui pourrait en avoir quelque prescience ?

Le roman se déroulant en terre simenonienne, il nous plaît de conclure avec la "présence tutélaire" du commissaire Bloom. La phrase qui suit laisse deviner sa fragile plénitude : "Au loin croisait un yacht que Laure ne vit même pas mais que le commissaire suivait pour lui au-delà des mouettes, en plein soleil et en plein ciel." Ne manquerait plus qu'apparaisse au bastingage, en rouge vif tranchant sur le bleu tourbe, une autre Laure au corps peut-être moins électrique. Et si elle allait s'appeler Oriane et ce serait alors un siècle plus tôt sur une mer plus au nord... Voilà un bel indice pour enquêter sur l'écriture de Galien Sarde !

Le Rouge et Laure est publié aux éditions Fables fertiles. Il compte 227 pages et coûte 18,60 €. 

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