Qui êtes-vous ?

Mon blog est celui d'un butineur effaré dans tous les champs du savoir. Et c'est ce même butinage qui m'a conduit à écrire des livres.

mardi 15 juillet 2025

Sara Bourre, Chambre 908


Les "fenêtres qui ne s'ouvrent pas" ont parfois le regard plus pénétrant que les fenêtres qui s'ouvrent. Quand elles donnent sur une chambre d'hôpital, "la saturation de la lumière" altère peut-être la saturation de l'oxygène dans le sang. Des mouettes "regardent à travers la vitre" de la chambre 908. Elles ont "l'œil grand ouvert" sur le corps du malade. Parfois, il vire au noir comme les humeurs et les suints. Comme les rêves remontés des vieux puits sans margelle et les chiens de mauvais augure. 

Chambre 908 de Sara Bourre est un récit étoilé à deux voix entre un père au bord de la mort et sa fille. Dans la plus haute solitude. Existe-t-il encore un lieu pour les accueillir ? Où la lumière ne ferait pas de l'ombre ? Ah ! C'est que la mort est "un grand navire" tourmenté. Sa cale grouille comme un ventre corrompu et le chemin vers le pont se dérobe aux derniers désirs. La fille ne peut rien contre le naufrage "et les longues femmes toutes blanches qui s'approchent". Alors, en ses "chevauchées-morphine", le père devient capitaine au-delà des eaux troubles. Quelques souvenirs se rassemblent, qui ne tiendraient pas sans leur part inventée. Ainsi cette corrida sous [le soleil gorgé de sang] à Madrid. Avec cette image dont Federico García Lorca eût fait son miel : "le frère balance la lune aux flancs blêmes des chevaux". Les mémoires ante mortem et post mortem ne gardent ni lignes ni cap. Est-ce ainsi que l'arène madrilène se retrouve à Clermont-Ferrand, le long des rives pentues de la Tiretaine ? "L'enfance douloureuse" a ici bien des ressacs et le mystère du père grandit. Les cendres de l'urne funéraire rappellent des sables anciens où les doigts farfouillaient.

Après leur dispersion, les carnets de rêves du défunt ont "le tranchant du vertige" plus acéré. La toute-puissance imaginaire, comme dans le "Rêve du 31 octobre 1991", incarne-t-elle une résurrection ou une ressuscitation ? Autrement dit, la mort y est-elle effective ou apparente ? Et, surtout, qui est ce "on" organisateur de la dramaturgie ? "Les décors un à un s'effondrent / le ciel se détache du sol", écrit la narratrice. "Le temps plié en quatre" s'épuise à y durer... Les décors sont peut-être des décorps inaboutis, forcément inaboutis. Ante partum déjà, ils sécrètent leurs chimères.

Elles sont cosmiques comme la découverte d'un "trou noir, fils d'une étoile explosée". Et l'imaginaire du rêveur, porté par la naissance du trou noir consécutive à un "effondrement de matière", retourne à son enfance peuplée "d'acrobates funambules... sur un câble à 40 mètres du sol". Le noir du trou noir et le blanc des habits blancs des funambules tiennent ensemble l'illusion du vide et de plein sans cesse recomposée. "Je n'ai pas de corps à troquer contre la vision pure de l'absence", constate la fille en peine avec son deuil. Les fleurs fanent dans la Tiretaine. Le réel est si lourd à porter. Les rêves de fêtes foraines du père ne sauraient l'alléger. Elles n'ont pas l'assurance de quelque grande roue juchée entre deux montagnes. Elles disent les fragilités labyrinthiques du dehors et du dedans. Et l'empêchement inaugural de toute lucidité.

Extraits :

 

Au bout du couloir le frère penche comme un arbre malade

je crache noir dans la cuvette blanche

le café bu trop vite, pris dans l'odeur âpre du désinfectant

dehors la pluie est incessante

elle frappe dru contre les carreaux nocturnes de ta chambre

aucune mouette n'a osé approcher 

 

Je pourrai apprendre à chanter

par ta voix

une langue étrangère me ferait oublier

la mécanique froide des aveux

la rétention du vent dans la chambre

le bruit des machines dans la nuit

 

Tu disais,

les oiseaux bleus nous traversent comme un vent de mer

et c'est l'autre pays déjà.

 

Au jeu toujours improbable des intertextualités, nous pouvons rapprocher Chambre 908 de Sara Bourre du récit pareillement étoilé de Brigitte Giraud,  Des ortolans et puis rien. Avec cette interrogation récurrente de la construction et de la déconstruction du manque, dans le corps et hors lui.

Chambre 908, poignant en ses étoilements, ne laissera pas le lecteur indifférent. L'ensemble compte 113 pages et est publié aux éditions Le Castor Astral. Il coûte 15 €.

 

Sara Bourre est également l'auteure de À l'aurore, l'insolence, préfacé par Hubert Haddad aux éditions du Cygne. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire