En l'espace de quinze jours, deux jeunes femmes m'ont exprimé leur regret de n'être pas nées plus tôt. La première est boulangère chez Laugery dans le quartier de Bacalan à Bordeaux-Nord. Elle a 26 ans. La deuxième a franchi le cap de la trentaine et travaille occasionnellement à La Manuco, un établissement du dix-septième siècle où l'on donne des récitals de poésie contemporaine et sert des plats bios du meilleur goût.
Ces deux jeunes femmes sont effrayées. Les ravages des réseaux sociaux, le cirque médiatique, la santé mentale des adolescents, les pollutions de l'air, de l'eau, des aliments et les débordements climatiques, les violences quotidiennes ressassées par les robinets de l'info leur font peur. Et s'ajoute à ces peurs une angoisse qui les taraude. De quoi demain sera-t-il fait ? Y aura-t-il une guerre civile ? La Russie va-t-elle déclencher un conflit mondial ? Ou la Chine ?
"Je regrette d'avoir 26 ans en 2025", m'a dit la boulangère. "J'aurais aimé avoir 20 ans en 1980", m'a dit la collaboratrice occasionnelle. Alors, bien sûr, je me souviens de la citation désespérée de Paul Nizan : "J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie."
J'imagine que le témoignage de ces deux jeunes femmes exprime un malaise générationnel. Et je me réjouis d'avoir bientôt 70 ans. Je ne veux pas vivre le grand naufrage. Je ne veux pas voir mourir à petits feux les arts et les lettres réduits à la marge par l'ultra-libéralisme. Je ne veux pas assister au triomphe du suprématisme blanc qui dénie toute valeur à l'humanisme et à la science. Je ne veux pas finir mes jours sous le joug des néo-fascistes ou des néo-staliniens. Tous les pouvoirs font sous eux et j'ai passé l'âge de me prendre de la merde sur la gueule...
Pour mémoire, Paul Nizan, romancier et philosophe, est mort au combat en 1940, après avoir rompu avec le parti communiste à cause du pacte germano-soviétique. Pendant ce temps, un certain Jean-Paul S*** prenait du bon temps à Paris... Bref, passons !
Photo de La Manuco 15 rue Causserouge à Bordeaux. J'invite les lecteurs à visiter leur site (https://lamanuco.fr). Les îlots d'humanité se faisant de plus en plus rares, je considère ce tiers-lieu comme une résistance en soi, du seul fait d'être.
Je les comprend ces jeunes femmes. Ce n'est pas que le monde était en paix quand nous avions 20 ans mais la fenêtre de l'espoir existait. Tel qu'il va elle est épouvantablement obscurcie. Et même quand on veut cultiver l'optimisme on est soudain saisi d'aquoibonisme. Cependant je croise des jeunes gens qui "ne lâchent rien". Alors...
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