dimanche 23 avril 2017

Relire et relire encore

Résultat de recherche d'images pour "angelo de giono"Quand on s'avance dans la soixantaine, cet âge qui naguère encore prenait les couleurs usées de l'automne, on a déjà relu les essentiels, ceux qui ont nous ont portés, soutenus. 
Donc, on re relit. Un nouvel étonnement vient patiner l'étonnement de quand on avait vingt ans et qu'on croyait savoir tout lire.

Là, Angelo de Giono. Avec cette question. Jusqu'à quel point est-il stendhalien dans l'écriture ? Dans ce livre-là et pas un autre ? N'empêche ! Rendre présente Pauline de Théus avec seulement la trace ancienne d'un parfum sur un mouchoir oublié exige plus que du talent. Ce parfum embaume tout le roman. Pauline est plus visible dans l'invisible, plus palpable dans l'impalpable. Quand elle apparaît enfin, yeux verts et cheveux noirs, cousant la laine des moutons ou tirant au pistolet, sa corporéité confère une autre nature à l'envoûtement de l'énigme de la vie. Sans qu'on sache bien sûr ce que peut être cette nature. 

Autre question. Il n'est pas impossible qu'il y ait un peu de Del Dongo dans le ravissement d'Angelo. Mais laissons cette appréciation aux universitaires. De toute façon, la tétralogie de Giono n'en finira jamais d'échapper aux scrutateurs et c'est en cela qu'elle est grande.

Résultat de recherche d'images pour "un homme disparait pontalis"Maintenant, je re relis Un homme disparaît de Jean-Bertrand Pontalis. Pourquoi revenir encore vers cet auteur ? Je ne sais pas. Cette délicatesse, cette discrétion de l'écriture suspendue à l'étrange, au tragique entrent en moi, c'est probable. Ce personnage inventé qui ne sait pas s'appartenir, en écho à l'individu rencontré plusieurs fois par l'auteur et qui a disparu fourbit ma propre disparition. Qu'en reste-t-il ? Que reste-t-il en général de l'homme ? Quelques paroles ordinaires échangées sur un trottoir, deux ou trois poignées de main ou simples signes de tête. Puis plus rien. On met du temps à s'en apercevoir. On ignore par quelles conjonctions de hasards cette conscience-là nous vient. 

Et c'est peut-être ainsi que l'on [se sait marcher vers la mort].

Angelo de Jean Giono et Un homme disparaît de Jean-Bertrand Pontalis sont évidemment disponibles en livre de poche. N'hésitez pas à leur rendre visite. Ils sauront vous dire.

dimanche 16 avril 2017

Ito Ogawa, Le restaurant de l'amour retrouvé

Il existe deux Ogawa comme il existe deux Murakami. Ici Ito. Auteure de chansons et de livres pour enfants. Le restaurant de l'amour retrouvé est son premier roman.
Résultat de recherche d'images pour "le restaurant de l'amour retrouvé"Rinco, vingt-cinq ans, est cuisinière dans un restaurant turc. Un soir, en rentrant chez elle, elle trouve son appartement entièrement vide. Son amoureux est parti sans laisser ni trace ni adresse. Désespoir. Rinco perd sa sa voix et ne communique plus que par bristols interposés. Elle retourne dans son village natal dominé par deux montagnes qui évoquent les seins d'une femme allongée. Elle retrouve sa mère avec laquelle elle ne s'est jamais entendue. Une excentrique soûlographe aux multiples amants qui vit avec une truie en liberté dans le jardin et baptisée Hermès. Comme la marque de luxe.
Aidée par l'ancien factotum de son collège, Rinco ouvre un restaurant dont la cuisine est si savoureuse qu'elle ressuscite les bonheurs en allés. Des personnages hauts en couleurs défilent. La Favorite notamment qui fut au temps jadis la maîtresse d'un homme politique célèbre. 
Peu à peu, Rinco découvre qui est vraiment sa mère et comment un pistolet à eau a joué un rôle dans sa conception. Elle apprend aussi qui est Papy Hibou, cet oiseau qui hulule douze fois quand sonnent les douze coups de minuit. Elle apprend bien d'autres choses encore sans cesser de mitonner les plats qui font sa réputation bien au-delà du village... 
Voilà un roman plutôt mat dans son écriture très directe, sans falbalas d'aucune sorte, mais le lecteur est touché au coeur jusque dans les recettes de cuisine.
Le restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa est traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako et disponible en Picquier poche au prix de huit euros. Il a été adapté au cinéma.

image babelio.com

dimanche 9 avril 2017

Envoyer, ou pas, des manuscrits à des éditeurs

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Voilà bien une question de fond et de vase, donc éminemment philosophique ! Depuis six mois, j'ai sous le coude deux manuscrits de poèmes. Le long des embrasures, accepté du reste par un éditeur mais il a dû annuler ses programmes de publication.

Et Vos voix sur mon chemin dans lequel je rends hommage à des poètes qui m'ont construit. Rimbaud, Lorca, Follain, Guillevic, Dupin, Metz, Jaccottet, Anise Koltz, Allix, Françoise Hàn, Hélène Cadou, Manciet, Raphaëlle Georges, Llamazares, Sylvia Plath, Vandenschrick, Delvaille, Lagerkvist, Bourg, Giovannoni... Des voix qui appartiennent au patrimoine et des voix presque inconnues. 

Les photocopies sont prêtes. Je n'ai plus qu'à traverser la rue pour les confier au reprographe. Mais je ne traverse pas la rue. Je me dis que je vais le faire, cent mètres à marcher je peux le faire, je suis un marcheur exercé, endurant, et je ne le fais pas.

Procrastination ? Non ! Empêchement de fond et de vase ? Oui ! Mes proches savent que je ne tiens aucunement à publier un ouvrage par an. Certains revuistes n'ignorent pas que je passe volontiers mon tour quand ils font des appels à textes. J'y verrais une faute de goût, une inélégance morale. Cependant, ces textes que j'ai mûris, repris et repris jusqu'à l'obsession, m'importent et j'aimerais qu'ils soient lus. Les fonds de tiroir sont aussi des lieux propices à la vase.

Mais, à dire ma vérité telle que je l'entrevois maintenant, à quoi bon enquiquiner un éditeur si moins de cent exemplaires sont écoulés ? D'autant que les pauvres malheureux suffoquent sous les propositions. D'autant que les extraits que je recopie sur mon blog sont vus, au moins cela, vus, par trois ou quatre cents visiteurs humains. Ce qui est beaucoup.

Et puis, toujours à dire ma vérité telle que je l'entrevois maintenant, les lettres types c'est rasoir-casse-bonbons. Les non réponses aussi, de plus en plus fréquentes, sont rasoirs-casse-bonbons. Quant aux refus argumentés, j'en reçois quelques-uns, c'est souvent à se taper le cul par terre de rire. La mauvaise foi n'est pas l'apanage des hommes politiques.

Alors, je ne sais pas. Ou plutôt si. De nos jours, les bons manuscrits, voire très bons, donc largement publiables, sont légion. La banalisation des bac+5 entraîne logiquement une banalisation de la littérature. Je ne dis pas que c'est mal. J'appartiens moi-même à ce phénomène social (et sans bac+5 qui plus est). J'écris très bien, je n'en doute pas. Mais, pour être tout à fait honnête, j'ai conscience que c'est insuffisant. Je n'atteindrai jamais le niveau de perfection d'un Thierry Metz par exemple. Et de Rimbaud ou Lorca, même pas la peine d'en causer. Lucidité, lucidité, et au diable le soleil qui la blesse.

Par conséquent, la rue que je dois traverser pour aller chez le reprographe pourrait s'allonger considérablement, multiplier les carrefours, les feux de signalisation, les gendarmes couchés, les poubelles renversées avec boites de bière ou reliefs de pizzas dégoulinants, les pare-chocs emboutis, les tôles compressées à l'avant comme à l'arrière, les travaux de tuyauterie en sous-sol, les repavages, les rebitumages et les chauffards impénitents qui pourraient m'aplatir comme crêpe en carnaval...

Evidemment, je ne vais pas arrêter d'écrire pour autant. J'écris, c'est tout. Et je me moque bien du pourquoi et du comment du pourquoi-comment. Les désirs, les passions, les besoins, les nécessités, je les abandonne aux chercheurs de poils sur les oeufs dûment mitrés par l'académie des belles-lettres. A la fin de ma vie, mon coude risque de se retrouver à la hauteur de mes oreilles, criblé de douleurs articulaires qui me pétrifieront sur mon fauteuil de scribouillard incorrigible.

Qu'importe ! La vase des questions me servira d'onguent et j'espère que je ne toucherai pas le fond du marécage. Je ne suis pas si piètre nageur, y compris en eaux troubles.

Bon dimanche si vous ne les haïssez point.

Image Brigitte Giraud

dimanche 2 avril 2017

Emmanuel Echivard, La Trace d'une visite

Résultat de recherche d'images pour "emmanuel echivard"J'en suis à ma troisième lecture du premier recueil d'Emmanuel Echivard, La Trace d'une visite. Je mentionne cela car j'ai le sentiment d'avoir découvert un auteur si déroutant dans sa puissance que je crains d'écrire des sottises. 

Qui est donc ce "tu" présent/absent tout au long du livre ? Comment le nommer sans le réduire ? Peut-on lui attribuer un qualificatif qui ne limiterait pas son essence matérielle ?

Le lecteur saisira assez vite le "il" (et parfois le "elle") en ses déclinaisons humbles et fragiles, dites et muettes, joyeuses ou à la peine. Il y reconnaîtra son propre chemin tissé d'improbables. Dans le bruit comme dans le silence. Depuis les commencements repris sans cesse par la langue.
Et sans cesse il reviendra à ce "tu" qui porte en lui (et même en elle) tous les visages. Pour l'accueillir et le repousser. Dans l'espoir vain de désigner ce qu'est la vie, [ce que n'est pas la mort]. Puissant et impuissant dans les mêmes mots de toujours, les mêmes gestes de toujours.

En précipitant la besogne du sens, on peut décréter que ce "tu" est dieu. La figure du père et celle du fils (de la fille ?) apparaissent sans qu'on les distingue vraiment. Il y a dans le chant de ces proses poétiques des accents de parabole. 
Mais cherchons plutôt à nous détacher lentement des apparences. Emmanuel Echivard aime effacer les traces dans le corps des mots comme dans le corps des paysages. Car c'est en se perdant que le lecteur, peut-être, puisera en lui le désir de semer des cailloux...

Extraits :

Tu es un vertige, dit-il, le chaos de rochers
que le brume de midi a pris.
Puis l'après-midi a passé. Lui s'occupait des
ronces à arracher. Il t'a oublié.
Mais quand le soir arrivera, il s'étendra sur
le sol pour t'entendre passer.


Etonné, il regarde l'arbre, le chat, le porte-
crayon de bois qu'un enfant a donné. Regards
du monde que rien n'étreint.
Quel murmure se lèvera de ce qui n'a pas de
nom ?
Tu serais dans la brise légère, dit-on.


Il ne voyait plus alors que des silhouettes, de
dos, disparaissant dans l'épaisseur grise d'un
chemin de terre. C'était une heure inconnue.
Le jour et la nuit s'étaient retirés, plus de
lune, plus de marées.
Tout ce qui respire, chante, vibre, tremble, se
désapprenait.
A cette heure de fin du monde tu allais à leur
rencontre, au bout du chemin terreux.

La Trace d'une visite d'Emmanuel Echivard, publié par Cheyne éditeur, est disponible dans toutes les bonnes librairies au prix de 19 euros.

image fr.linkedin

vendredi 31 mars 2017

La revue Festival Permanent des Mots, N°14

Le Festival Permanent des Mots change de voilure. La quatorzième livraison du chasseur-cueilleur Jean-Claude Goiri se déplie en A4 et garde son papier dont le lecteur aime caresser le grain.
Ce dernier retrouvera Christophe Sanchez avec un personnage de sa série Les gens, convaincu d'avoir un jour "la peau du désespoir".Thierry Radière avoue ses craintes au moment de passer sous les ponts autoroutiers lorsqu'un cycliste s'accoude au parapet.
Nolwenn Euzen évoque l'impossibilité à répertorier les choses, petites et grandes, car les idées comme les mots ne tiennent pas le chemin. La pratique de l'en-dehors, du non-lieu ne garantit rien non plus si le temps n'en fait qu'à sa tête.
Christophe Siebert clôt ce numéro avec une nouvelle intitulée Monstre. Un individu difforme se fait bombarder de fruits pourris dans les fêtes foraines. C'est son travail. Il ne se plaint ni de son salaire ni du regard haineux des sales types qui conjurent leur propre laideur. Il a l'habitude. Il a commencé à quatorze ans et il en a trente-cinq. Un jour, il rencontre l'amour. Il devient père d'une petite fille aussi belle qu'il est repoussant. Un conte de fées prend corps... Mais...

Ce numéro est illustré en couverture par Grégory Pichot (photo), et Doina Vieru (peinture). Jacques Cauda signe les vignettes de la partie Carnet.

Achetez FPM 14 (8 €) sur le site des éditions Tarmac en lien ici ou commandez-le chez votre libraire. Au plaisir de la lecture, vous ajouterez celui de donner un coup de pouce à une entreprise qui traverse une mauvaise passe.
Merci.

image éditions Tarmac

mardi 28 mars 2017

Katherine L. Battaiellie et Sophie Rousseau dans Voleur de feu

Voleur de feu - Toute l'histoire nous manque - Katherine L. Battaiellie, Sophie RousseauVoici venue, avec l'équinoxe de printemps, la sixième livraison de la revue Voleur de feu. L'ensemble textuel de Katherine L. Battaiellie s'intitule Toute l'histoire nous manque. Il pose la question essentielle, à la façon d'un géographe du dedans et du dehors, de ce qui peut rester à découvrir quand n'existe plus aucun territoire vierge à cartographier. La recomposition du monde relève alors de l'intime, dans une espèce de recommencement inaugural du chaos de la Terre et du chaos des corps. Il y a, dans les déplis poétiques de Katherine L. Battaiellie quelque chose de la genèse sans cesse à reprendre des profondeurs les plus secrètes.

"le temps est venu de ne plus attendre
de clore les rêves et le souvenir de l'odeur 
des forêts
le coeur à battre plus lentement
rester vivants recommencer"

Mais quelle histoire nous manquera à la fin de ce crépuscule de cendres et de laves ?

L'architecte et plasticienne Sophie Rousseau répond en échographe à Katherine L. Battaiellie avec ses encres et ses monotypes. Des paysages tantôt liquides tantôt rocheux, dont les  plans se distinguent ou se  brouillent en un bleu délicat, nous offrent une lecture impuissante à tisser un récit. Des photos nous montrent aussi des masses filamenteuses surgies des viscères et des étoiles et nous mesurons jusqu'au vertige notre détresse humaine à concevoir les infinis.
Encore une belle offrande de cette revue désormais bordelaise. En attendant la suivante.
Le lecteur peut consulter le site de la revue voleurdefeu.com et commander son exemplaire pour la somme de 15 €.