lundi 1 mai 2017

Maupassant journaliste, 1

Résultat de recherche d'images pour "maupassant"Autour des années mille huit cent quatre-vingt, Guy de Maupassant écrivit de nombreuses chroniques, notamment dans Le Gaulois, journal conservateur qui fusionna avec Le Figaro en 1929.
Le conservatisme de Maupassant chroniqueur n'était cependant pas celui de la haute bourgeoisie et de la noblesse de son temps. L'auteur de Bel-Ami aspirait à un gouvernement de l'intelligence et de l'esprit et soutint l'Etat républicain lorsqu'il imposa l'école obligatoire. De même, il souhaitait que des places gratuites fussent réservées dans les théâtres aux pauvres ayant des lettres. 
Le lecteur ne manquera pas de sourire aux coups de plume donnés avec gourmandise à la gent féminine, Schopenhauer à l'appui. Dames et demoiselles, forcément inconstantes, incapables de penser vraiment car trop soumises aux passions de l'amour, n'étaient que linottes à séduire mais avec élégance, sans jamais s'abaisser à quelque trivialité condamnable.

C'est surtout dans l'évocation de Gustave Flaubert que Maupassant se montre le plus pénétrant : "... on appelle généralement style une forme particulière de phrase propre à chaque écrivain, ainsi qu'un moule uniforme dans lequel il coule toutes les choses qu'il veut exprimer. De cette façon, il y a le style de Pierre, le style de Paul et le style de Jacques. Flaubert n'a point son style, mais il a le style; c'est-à-dire que les expressions et la composition qu'il emploie pour formuler une pensée quelconque sont toujours celles qui conviennent absolument à cette pensée, son tempérament se manifestant par la justesse et non par la singularité du mot. (in La République des Lettres, 22 octobre 1876)"
" Il écoute le rythme de sa prose, s'arrête comme pour saisir une sonorité fuyante, combine les tons, éloigne les assonances, dispose les virgules avec science, comme les haltes d'un long chemin : car les arrêts de sa pensée, correspondant aux membres de sa phrase, doivent être en même temps les repos nécessaires à la respiration. Mille préoccupations l'obsèdent. Il condense quatre pages en dix lignes ; et la joue enflée, le front rouge, tendant ses muscles comme un athlète qui lutte, il se bat désespérément contre l'idée, la saisit, l'étreint, la subjugue, et peu à peu, avec des efforts surhumains, il l'encage, comme une bête captive, dans une forme solide et précise." (in Le Gaulois, 23 août 1880)

Admirateur de la geste napoléonienne, Maupassant a fait plusieurs voyages en Corse, qu'il raconte comme si c'étaient des nouvelles. Voici un passage sur le port de Marseille qui vaudrait à n'importe quel auteur contemporain d'être traîné dans la boue voire devant les tribunaux : " Des Arabes, des nègres, des Turcs, des Grecs, des Italiens, d'autres encore, presque nus, drapés en des loques bizarres, mangeant des nourritures sans nom, accroupis, couchés, vautrés sous la chaleur de ce ciel brûlant, rebuts de toutes les races, marqués de tous les vices, êtres errants sans famille, sans attaches au monde, sans lois, vivant au hasard du jour dans ce port immense, prêts à toutes les besognes, acceptant tous les salaires, grouillant sur le sol comme sur eux grouille la vermine, font de cette ville une sorte de fumier humain où fermente échouée là toute la pourriture de l'Orient." (in Le Gaulois, 27 septembre 1880)

Chroniques de Maupassant a paru en 10/18 au début des années 1980 et c'est un plaisir toujours intact de lire les admirations et les détestations d'un écrivain affranchi de toute révérence.

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dimanche 23 avril 2017

Relire et relire encore

Résultat de recherche d'images pour "angelo de giono"Quand on s'avance dans la soixantaine, cet âge qui naguère encore prenait les couleurs usées de l'automne, on a déjà relu les essentiels, ceux qui ont nous ont portés, soutenus. 
Donc, on re relit. Un nouvel étonnement vient patiner l'étonnement de quand on avait vingt ans et qu'on croyait savoir tout lire.

Là, Angelo de Giono. Avec cette question. Jusqu'à quel point est-il stendhalien dans l'écriture ? Dans ce livre-là et pas un autre ? N'empêche ! Rendre présente Pauline de Théus avec seulement la trace ancienne d'un parfum sur un mouchoir oublié exige plus que du talent. Ce parfum embaume tout le roman. Pauline est plus visible dans l'invisible, plus palpable dans l'impalpable. Quand elle apparaît enfin, yeux verts et cheveux noirs, cousant la laine des moutons ou tirant au pistolet, sa corporéité confère une autre nature à l'envoûtement de l'énigme de la vie. Sans qu'on sache bien sûr ce que peut être cette nature. 

Autre question. Il n'est pas impossible qu'il y ait un peu de Del Dongo dans le ravissement d'Angelo. Mais laissons cette appréciation aux universitaires. De toute façon, la tétralogie de Giono n'en finira jamais d'échapper aux scrutateurs et c'est en cela qu'elle est grande.

Résultat de recherche d'images pour "un homme disparait pontalis"Maintenant, je re relis Un homme disparaît de Jean-Bertrand Pontalis. Pourquoi revenir encore vers cet auteur ? Je ne sais pas. Cette délicatesse, cette discrétion de l'écriture suspendue à l'étrange, au tragique entrent en moi, c'est probable. Ce personnage inventé qui ne sait pas s'appartenir, en écho à l'individu rencontré plusieurs fois par l'auteur et qui a disparu fourbit ma propre disparition. Qu'en reste-t-il ? Que reste-t-il en général de l'homme ? Quelques paroles ordinaires échangées sur un trottoir, deux ou trois poignées de main ou simples signes de tête. Puis plus rien. On met du temps à s'en apercevoir. On ignore par quelles conjonctions de hasards cette conscience-là nous vient. 

Et c'est peut-être ainsi que l'on [se sait marcher vers la mort].

Angelo de Jean Giono et Un homme disparaît de Jean-Bertrand Pontalis sont évidemment disponibles en livre de poche. N'hésitez pas à leur rendre visite. Ils sauront vous dire.

dimanche 16 avril 2017

Ito Ogawa, Le restaurant de l'amour retrouvé

Il existe deux Ogawa comme il existe deux Murakami. Ici Ito. Auteure de chansons et de livres pour enfants. Le restaurant de l'amour retrouvé est son premier roman.
Résultat de recherche d'images pour "le restaurant de l'amour retrouvé"Rinco, vingt-cinq ans, est cuisinière dans un restaurant turc. Un soir, en rentrant chez elle, elle trouve son appartement entièrement vide. Son amoureux est parti sans laisser ni trace ni adresse. Désespoir. Rinco perd sa sa voix et ne communique plus que par bristols interposés. Elle retourne dans son village natal dominé par deux montagnes qui évoquent les seins d'une femme allongée. Elle retrouve sa mère avec laquelle elle ne s'est jamais entendue. Une excentrique soûlographe aux multiples amants qui vit avec une truie en liberté dans le jardin et baptisée Hermès. Comme la marque de luxe.
Aidée par l'ancien factotum de son collège, Rinco ouvre un restaurant dont la cuisine est si savoureuse qu'elle ressuscite les bonheurs en allés. Des personnages hauts en couleurs défilent. La Favorite notamment qui fut au temps jadis la maîtresse d'un homme politique célèbre. 
Peu à peu, Rinco découvre qui est vraiment sa mère et comment un pistolet à eau a joué un rôle dans sa conception. Elle apprend aussi qui est Papy Hibou, cet oiseau qui hulule douze fois quand sonnent les douze coups de minuit. Elle apprend bien d'autres choses encore sans cesser de mitonner les plats qui font sa réputation bien au-delà du village... 
Voilà un roman plutôt mat dans son écriture très directe, sans falbalas d'aucune sorte, mais le lecteur est touché au coeur jusque dans les recettes de cuisine.
Le restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa est traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako et disponible en Picquier poche au prix de huit euros. Il a été adapté au cinéma.

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dimanche 9 avril 2017

Envoyer, ou pas, des manuscrits à des éditeurs

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Voilà bien une question de fond et de vase, donc éminemment philosophique ! Depuis six mois, j'ai sous le coude deux manuscrits de poèmes. Le long des embrasures, accepté du reste par un éditeur mais il a dû annuler ses programmes de publication.

Et Vos voix sur mon chemin dans lequel je rends hommage à des poètes qui m'ont construit. Rimbaud, Lorca, Follain, Guillevic, Dupin, Metz, Jaccottet, Anise Koltz, Allix, Françoise Hàn, Hélène Cadou, Manciet, Raphaëlle Georges, Llamazares, Sylvia Plath, Vandenschrick, Delvaille, Lagerkvist, Bourg, Giovannoni... Des voix qui appartiennent au patrimoine et des voix presque inconnues. 

Les photocopies sont prêtes. Je n'ai plus qu'à traverser la rue pour les confier au reprographe. Mais je ne traverse pas la rue. Je me dis que je vais le faire, cent mètres à marcher je peux le faire, je suis un marcheur exercé, endurant, et je ne le fais pas.

Procrastination ? Non ! Empêchement de fond et de vase ? Oui ! Mes proches savent que je ne tiens aucunement à publier un ouvrage par an. Certains revuistes n'ignorent pas que je passe volontiers mon tour quand ils font des appels à textes. J'y verrais une faute de goût, une inélégance morale. Cependant, ces textes que j'ai mûris, repris et repris jusqu'à l'obsession, m'importent et j'aimerais qu'ils soient lus. Les fonds de tiroir sont aussi des lieux propices à la vase.

Mais, à dire ma vérité telle que je l'entrevois maintenant, à quoi bon enquiquiner un éditeur si moins de cent exemplaires sont écoulés ? D'autant que les pauvres malheureux suffoquent sous les propositions. D'autant que les extraits que je recopie sur mon blog sont vus, au moins cela, vus, par trois ou quatre cents visiteurs humains. Ce qui est beaucoup.

Et puis, toujours à dire ma vérité telle que je l'entrevois maintenant, les lettres types c'est rasoir-casse-bonbons. Les non réponses aussi, de plus en plus fréquentes, sont rasoirs-casse-bonbons. Quant aux refus argumentés, j'en reçois quelques-uns, c'est souvent à se taper le cul par terre de rire. La mauvaise foi n'est pas l'apanage des hommes politiques.

Alors, je ne sais pas. Ou plutôt si. De nos jours, les bons manuscrits, voire très bons, donc largement publiables, sont légion. La banalisation des bac+5 entraîne logiquement une banalisation de la littérature. Je ne dis pas que c'est mal. J'appartiens moi-même à ce phénomène social (et sans bac+5 qui plus est). J'écris très bien, je n'en doute pas. Mais, pour être tout à fait honnête, j'ai conscience que c'est insuffisant. Je n'atteindrai jamais le niveau de perfection d'un Thierry Metz par exemple. Et de Rimbaud ou Lorca, même pas la peine d'en causer. Lucidité, lucidité, et au diable le soleil qui la blesse.

Par conséquent, la rue que je dois traverser pour aller chez le reprographe pourrait s'allonger considérablement, multiplier les carrefours, les feux de signalisation, les gendarmes couchés, les poubelles renversées avec boites de bière ou reliefs de pizzas dégoulinants, les pare-chocs emboutis, les tôles compressées à l'avant comme à l'arrière, les travaux de tuyauterie en sous-sol, les repavages, les rebitumages et les chauffards impénitents qui pourraient m'aplatir comme crêpe en carnaval...

Evidemment, je ne vais pas arrêter d'écrire pour autant. J'écris, c'est tout. Et je me moque bien du pourquoi et du comment du pourquoi-comment. Les désirs, les passions, les besoins, les nécessités, je les abandonne aux chercheurs de poils sur les oeufs dûment mitrés par l'académie des belles-lettres. A la fin de ma vie, mon coude risque de se retrouver à la hauteur de mes oreilles, criblé de douleurs articulaires qui me pétrifieront sur mon fauteuil de scribouillard incorrigible.

Qu'importe ! La vase des questions me servira d'onguent et j'espère que je ne toucherai pas le fond du marécage. Je ne suis pas si piètre nageur, y compris en eaux troubles.

Bon dimanche si vous ne les haïssez point.

Image Brigitte Giraud