mardi 11 septembre 2018

Voleur de feu, neuvième livraison

Résultat de recherche d'images pour "virginie vandernotte"J'ai découvert Voleur de feu dès la première parution et j'ai été séduit. L'éditeur William Mathieu met en miroir les textes d'un auteur et les oeuvres d'un plasticien sous la forme de cahiers non reliés fort bellement imprimés sur papier mat de bonne densité. Telle ou telle partie d'un Voleur de feu, dépliée comme un papillon se déplie, devient alors une grande image suspendue.
Pour sa neuvième livraison, William Mathieu et Edith Masson désormais associée à l'aventure ont fait appel à Virginie Vandernotte et à moi. 
Résultat de recherche d'images pour "virginie vandernotte"Mon texte Vos voix sur mon chemin est à l'origine un ensemble de poèmes indépendants que j'ai compressés en un seul bloc. Le tuilage des mots a créé un chambardement de sons et de sens tout à fait surprenant. 
Virginie Vandernotte s'est emparée à bras les pinceaux de cette pâte textuelle et une vingtaine d'images émouvantes ont surgi des échos qu'elle a entendus. 

Ce travail, qu'on peut qualifier de livre d'artiste, sera présenté le vendredi 28 septembre à 18 h à la galerie-garage-étage de Bertrand Boucquey sise au 16 impasse des Tanneries à Bordeaux. Un violoncelliste baroque accompagnera les temps de lecture et les diverses palabres.
Les dessins de Virginie Vandernotte seront également disponibles à la vente.
Le samedi 29 et le dimanche 30 à 17 h, d'autres lectures seront données.
Le site de Voleur de feu est en lien sur ce blog.
La neuvième livraison in quarto coûte 15 euros, ce qui est un prix très raisonnable.

PS : L'impasse des Tanneries est accessible par la rue Fondaudège et donne sur la place de champ de Mars qui jouxte le Jardin public. Il est plus simple de s'y rendre en tram (arrêt Quinconces, lignes B et C) car le secteur est en travaux.

Ces oeuvres de Virginie Vandernotte ne figurent pas dans la publication mais la représentent très bien.

lundi 3 septembre 2018

Jean Giono, Le grand troupeau

Résultat de recherche d'images pour "giono le grand troupeau"On devine assez vite qu'un roman va être puissant. C'est le cas avec Le grand troupeau de Jean Giono. Le livre commence par une formidable et insoutenable allégorie. Un immense troupeau de moutons traverse longuement un village provençal. La terre tremble sous le sabot des bêtes et dans le coeur des hommes. Pendant ce temps, un autre troupeau, encore plus immense, se fait égorger dans les tranchées de la guerre de 14. Ayant lui-même combattu, Giono nous livre des pages qui ne sont pas que de la littérature. Elles sont à pleurer. Oui. A pleurer.

" On entendait passer le silence avec son petit crépitement électrique. Les morts avaient la figure dans la boue, ou bien ils émergeaient des trous, paisibles, les mains posées sur le rebord, la tête couchée sur le bras. Les rats venaient les renifler. Ils sautaient d'un mort à l'autre. Ils choisissaient d'abord les jeunes sans barbe sur les joues. Ils reniflaient la joue puis ils se mettaient en boule et ils commençaient à manger cette chair d'entre le nez et la bouche, puis le bord des lèvres, puis la pomme verte de la joue. De temps en temps, ils se passaient la patte dans les moustaches pour se faire propres. Pour les yeux, ils les sortaient à petits coups de griffes, et ils léchaient le trou des paupières, puis ils mordaient dans l'oeil, comme dans un petit oeuf, et ils le mâchaient doucement, la bouche de côté en humant le jus."

" Les morts bougeaient. Les nerfs se tendaient dans la rainure des chairs pourries et un bras se levait lentement dans l'aube. Il restait là, dressant vers le ciel sa main noire tout épanouie ; les ventres trop gonflés éclataient et l'homme se tordait dans la terre, tremblant de toutes ses ficelles relâchées. Il reprenait une parcelle de vie. Il ondulait des épaules comme dans sa marche d'avant. Il ondulait des épaules, comme à son habitude d'avant quand sa femme le reconnaissait au milieu des autres, à sa façon de marcher. Et les rats s'en allaient de lui. Mais, ça n'était plus son esprit de vie qui faisait onduler ses épaules, seulement la mécanique de la mort, et au bout d'un peu, il retombait immobile dans la boue. Alors les rats revenaient."

in Jean Giono, Oeuvres romanesques complètes, T1, La Pléiade, pages 620-621

image babelio

mardi 28 août 2018

Teresa Soto, Chutes


Résultat de recherche d'images pour "teresa soto, chutes" Grâce à la revue Recours au poème, j’ai découvert la poète espagnole Teresa Soto et ses deux recueils en édition bilingue Nœuds (Nudos) et Chutes (Caídas). Bernard Noël, préfacier de Chutes écrit : « Ainsi va-t-on de page en page vers une ouverture faite de gestes simples et de murmures. » Il s’agit en effet d’une poésie sans affiquets, suggestive dans ce qu’elle a de tendre comme dans ce qu’elle a de rugueux. Chronique à suivre bientôt dans Recours au poème.

Extraits de Chutes :

Recuento de paraísos :
llamamos las tardes frescas
para contarlas
como cabezas de ganado.
Pasan, una tras otra
en polvareda viva.

Décompter les paradis :
nous appelons les après-midi fraîches
pour les compter
comme des têtes de bétail.
Elles passent, l’une après l’autre,
poudre vive.

*

Las carreteras sustituían
las aceras.
Por ellas, paisajes
filtrados por el cristal
y un calor único.
El calor y el paisaje
todo venía a través de algo.

Les routes prenaient la place
des trottoirs.
Et par elles, paysages
filtrés à travers la vitre
et chaleur unique.
Chaleur et paysage
tout venait à travers quelque chose.

*

El pecho abierto y roto
el día claro y pálido
y yo de luto
negra entera
y mi padre también llora
por el padre del padre

y llora
y se fue
y no hay

y quiero decir que sus lágrimas
caen hilo a hilo
sus ojos son secos
como los míos
hija del hijo
hija del padre.


La poitrine ouverte et brisée
le jour clair et pâle
et moi en deuil
toute noire
et mon père lui aussi pleure
le père du père

et il pleure
et il est parti
et il n’y a plus

et je tiens à dire que ses larmes
tombent fil à fil
ses yeux sont secs
comme les miens
fille du fils
fille du père.

Chutes de Teresa Soto est publié aux éditions L’herbe qui tremble associées aux éditions incorpore. La traduction est de Meritxell Martínez et Bernard Noël. (18 €)

image incorpore.org

mardi 7 août 2018

Poemas pobres y algo màs, Poèmes pauvres et un peu plus (fin)


Mi lengua es un surco redondo
Adentro del silencio
No busca ninguna raíz
De la cual surgiera el rostro de mi madre
Ya que no me dio la vida
Solamente busca la nada
Sus palabras calladas


Ma langue est un sillon en rond
A l’intérieur du silence
Elle ne cherche aucune racine
D’où surgirait le visage de ma mère
Elle qui ne m’a pas donné la vie
Elle cherche seulement le néant
Ses mots tus

*

Cuando sea un muerto
Escribiré un poema de amor
Bajo la luz de las estrellas
Calzadas de viento
Un poema lleno de sonrisas
Pero mi amada habrá perdido
Sus dientes


Quand je serai mort
J’écrirai un poème d’amour
Sous la lumière des étoiles
Chaussées de vent
Un poème plein de sourires
Mais mon aimée aura perdu

Ses dents

*

Voilà, c'est fini. Vous comprendrez que ce dernier poème est ironique. C'est que je déteste quand l'émotion étranglée par la métaphore dégouline et dégouline encore, devient fumisto-ésotérico-gnan-gnan. Et puis je veux rendre hommage à Elvire Gomez Vidal. C'est grâce à elle que j'ai rencontré le poète Raul Nieto de la Torre. C'est elle qui a transmis mes poèmes pauvres à Luis Landero. C'est elle aussi qui a corrigé les fautes que j'ai commises en espagnol. Dans le plus grand respect de ce que je crois avoir voulu dire. Muchas gracias Elvira por todo lo que haces para mi.

dimanche 5 août 2018

Poemas pobres y algo màs / Poèmes pauvres et un peu plus


Salí muerto de mi madre
Un pedazo de carne
Encerrado en una sangre pálida
Ni cuerpo ni lengua
Ni piel dibujando un rostro
Sólo el camino que inventé
Me hizo nacer


Je suis sorti mort de ma mère
Morceau de viande
Serré dans du sang pâle
Ni corps ni langue
Ni peau à dessiner un visage
Seul le chemin que j’ai inventé
M’a fait naître

*

Mi poema es tan turbio
Que no lo puedo traspasar
Sin perder mi cuerpo


Mon poème est si trouble
Que je ne peux pas le traverser
Sans perdre mon corps

*

Encontrar las palabras más pobres
Que tejerán el paisaje
Del agua y de la tierra
Recorridas en la infancia
Que sea leve el recuerdo
De las cosas y de los seres
Un perro ladrando ante una puerta
Cualquier perro y cualquiera puerta
Como un dibujo de nin͂o
Y así sobreviven más allá de toda memoria


Trouver les mots les plus pauvres
Qui tisseront le paysage
De l’eau et de la terre
Arpentées dans les enfances
Que soit léger le souvenir
Des choses et des êtres
Un chien qui aboie devant une porte
N’importe quel chien et n’importe quelle porte
Comme un dessin d’enfant

Ainsi survivent-ils au-delà de toute mémoire

Je suis en train de traduire dans ma langue qui n'est pas maternelle ces poèmes que j'ai écrits dans une langue que je ne connais pas assez. Autant dire que c'est trop bizarre. La question que j'ai peut-être à me poser est la suivante : Où est passée la troisième langue ?
Le premier poème paraîtra en septembre dans la revue FPM de Jean-Claude Goiri, avec une variante car je crois que j'ai ajouté le mot ventre. Mais quand on sort de la mère, on ne sort pas que de son ventre. Alors ! Trop bizarre, vous-dis-je !
Le recueil devrait être publié courant 2019 par les éditions Tarmac avec une préface de Luis Landero que je ne remercierai jamais assez pour ce qu'il a dit de ces poèmes pauvres.

vendredi 27 juillet 2018

Luis Landero, Gentilshommes de fortune

Résultat de recherche d'images pour "luis landero gentilshommes de fortune"Un banc de pierre sur la place d'un village en Espagne. Il est si haut que les pieds des "désoeuvrés" ne touchent pas le sol. C'est mieux pour comprendre le théâtre de la vie. C'est mieux pour attraper au vol les rêves des gentilshommes de fortune.
Il y a Esteban Tejedor, le livreur de lait qu'on dit simplet. Héritier d'un très ancien et très prestigieux lignage, il revendique le trésor de Belmiro Ventura qui lui apportera gloire et amour.
Ce vieil érudit au corps inaccompli, professeur d'histoire besogneux, est de la famille d'Esteban mais de la branche cadette. Il doit rendre ce que ses ancêtres ont volé aux Tejedor pendant des siècles. On l'y contraindra si nécessaire.
Il y a Luciano Obispo, (obispo veut dire évêque en espagnol) engendré par un Saint revenu sur Terre et destiné à la prêtrise. Les voies du Seigneur, quand elles sont pénétrables, débauchent souvent sur des chemins de traverse... Le jeune Luciano, fort vigoureux, paiera cher ses coupables égarements.
Il y a Julio Martin Aguado, chroniqueur du village. Admirateur d'Alexandre le Grand et modérateur talentueux des conflits ordinaires, il se lance en politique et se voit devenir chef du gouvernement.
Il y a aussi Amalia Guzmàn. Encore célibataire à trente ans, elle n'a jamais supporté que quelqu'un lui touche le nez... Ses poèmes vaporeux paraissent régulièrement dans la feuille de chou locale. La mélodie En regardant la mer, qu'elle joue au piano, séduit aussi bien le vieux Belmiro que le jeune Luciano. Un orage pourrait gronder. Un orage grondera...
" Personne ne pouvait imaginer alors que ces épisodes étaient des morceaux épars qui finiraient par s'assembler pour former une seule histoire, ni que chaque personnage, avec ses actes insignifiants de tous les jours, travaillait déjà à un même dénouement implacable.", écrit Luis Landero en rassemblant son troupeau pris dans la tempête annoncée.
Gentilshommes de fortune est un roman aux accents picaresques, le Lazarillo de Tormes est du reste cité, et dit, sur le ton de la farce ou de la satire, parfois avec tendresse, l'empêchement des songes creux à changer la vie. La fortune, c'est bien connu, ne sourit qu'aux audacieux. Les rêves, tout penauds, rentrent dans leur coquille. Le souffle de l'histoire passe au large et éteint les feux de la rampe, réduisant l'humain à ses petites conditions.
Le lecteur appréciera l'écriture de Luis Landero, ses longs plis et déplis, sa gourmandise des énumérations comme un bric-à-brac oulipien énonçant l'improbable. Il pourra penser à l'univers de Marcel Aymé ou à celui, éventuellement, d'Italo Calvino dans ses allusions philosophiques, la jolie Amalia tenant le rôle d'une vicomtesse pourfendue...
La littérature, c'est le style, tonnait Flaubert. En voici une nouvelle preuve.
Gentilshommes de fortune de Luis Landero est publié aux éditions Gallimard. 

image gallimard.fr