Se retirer dans un jardin
Et regarder un canard en plastique
Un enfant l'aura perdu
Sa laideur pour un peu nous ferait du bien
Les rumeurs de la ville gargouillent encore
Les lumières sont flasques sur les visages
Où passent des envies déjà vieilles
Petites géographies de la sueur
Et du désir inassouvi
Mais que vivre dans ce havre en toc
Où les ombres ne vont jamais debout
Les oiseaux ricanent à nos soupirs
Les ricochets sur l'étang font des flops
On tourne de guingois
Autour d'un banc qui nous repousse
Et l'ennui grommelle dans la gorge
Il faudrait retrouver l'allonge ordinaire
Des mots qui étreignent
La joie
S'abreuver de nouveau aux humeurs
Qui allègent
Le ciel n'est pas si bas
Et l'horizon garde la ligne
Quand le corps se déplie
Soulages slash-paris.com
jeudi 28 novembre 2019
mardi 19 novembre 2019
Se retourner sur un visage
Se retourner sur un visage
Ce geste dans la foule
Quand le bruit assourdit
Quelques traits nous restent
Qu'on voudrait assemblés avec la fatigue
Dans la fabrique d'un souvenir à sa mesure
Mais on presse le pas
On n'a rien reconnu de ce qui hante la peur
Si au moins il pleuvait
Si le tumulte poissait
Les peaux blanches et les yeux délavés
On comprendrait que la mélancolie soit risible
On reprendra bientôt la marche et l'ennui
Parmi les ombres sans soupirs
On ne sait pas vouloir autre chose
Chercher dans la multitude
Cet autre qu'on ne sera jamais
Notre désarroi n'a pas assez de flou
Pour trouver un visage
image Pierre Soulages
Ce geste dans la foule
Quand le bruit assourdit
Quelques traits nous restent
Qu'on voudrait assemblés avec la fatigue
Dans la fabrique d'un souvenir à sa mesure
Mais on presse le pas
On n'a rien reconnu de ce qui hante la peur
Si au moins il pleuvait
Si le tumulte poissait
Les peaux blanches et les yeux délavés
On comprendrait que la mélancolie soit risible
On reprendra bientôt la marche et l'ennui
Parmi les ombres sans soupirs
On ne sait pas vouloir autre chose
Chercher dans la multitude
Cet autre qu'on ne sera jamais
Notre désarroi n'a pas assez de flou
Pour trouver un visage
image Pierre Soulages
mercredi 6 novembre 2019
Hideo Furukawa, Soundtrack
Comment dire ? Lorsque les mots viennent à manquer pour définir un roman, tant ils sont nombreux, c'est que le chroniqueur se trouve en présence d'un phénomène rare.
Soundtrack, du Japonais Hideo Furukawa, est, à tout le moins, une bande-son particulière. Peut-être faudrait-il, pour en préciser le mouvement, recourir au talent du pornoaste du livre ! Mais ce serait aller vite en besogne. Commençons par la scène inaugurale. D'avant le commencement. Le lecteur pourra s'imaginer dans un récit de Daniel de Foe.
Une île déserte. Un jeune Robinson de six ans, Touta, s'y trouve violemment projeté. Presque dans le même temps, une jeune Robinsonne, quatre ans et demi, Hitsijuko, y accoste aussi. Tiens donc ! Adam et Eve annonceraient-ils leur retour ?
Nous sommes à la fin du vingtième siècle. Le paradis a du plomb dans l'aile (de corbeau) au Japon comme ailleurs. Le réchauffement climatique transforme la mégalopole de Tokyo, dans ses entrailles comme dans ses altitudes, en un enfer inextricable. La ville inondée est submergée par toutes sortes de migrations humaines et animales. Des milices fascistes s'arment lourdement dans les souterrains désaffectés du métro et sèment la terreur avec la complicité de la police ou des yakusas. Des mères de famille défilent fièrement dans les rues avec leurs nouveau-nés cent pour cent japonais... Mais, cependant que les citadins les plus fortunés cherchent à fuir ou à tirer profit du naufrage, des résistances s'organisent. Un ancien technicien du réseau électrique répare gratuitement des installations endommagées. Des prostituées enfilent des blouses d'infirmière et se mettent au service d'un chirurgien immigré de Bogota.
L'espoir n'a pas dit son dernier mot. Après moult péripéties, Touta et Hitsijuko, désormais adolescents dans les années deux mille, prennent leur destin en main. Chacun à sa façon toute d'étrangeté. Le long séjour passé sur l'île a imprégné différemment leur corps et leur conscience. Avec d'autres personnages tout aussi singuliers, dont le corvidé Kroy juché sur l'épaule de Léni au sexe indéfini, pourront-ils survivre dans le grand chamboulement ? Le silence de la danse de Hitsijuko et de sa compagnie de girlz sera-t-il aussi efficace que le bazooka de Touta l'exterminateur ?
Comment savoir puisque le réel est aussi insaisissable que les milliards de moustiques qui infestent la ville ?
Le lecteur pourra peut-être lever un coin du voile avec la postface de l'auteur et les propos du traducteur Patrick Honnoré. Hideo Furukawa déclare que son roman ne se situe pas dans un futur proche mais dans un passé proche. "Ici a commencé le chant", précise-t-il avant d'exhorter au courage de faire le monde.
Patrick Honnoré évoque un roman mythologique empreint de chamanisme comme moyen d'agir et cite en référence les deux Murakami, Haruki et Ryû, ainsi que Thomas Pynchon.
Comment un lecteur de 2050 s'emparera-t-il de cette oeuvre ? Comment saura-t-il se constituer un présent s'il n'est pas capable de soutenir le regard d'un corbeau éploré, s'il n'a jamais pu apprivoiser le silence des images dans sa tête ?
De toute évidence, quelque chose d'autre a déjà commencé. De nouvelles voies maritimes apparaissent avec de nouvelles îles. Les humains n'en ont pas fini de marcher. Les corbeaux n'en ont pas fini de voler.
Soundtrack de Hideo Furukawa est disponible aux éditions Picquier poche et coûte 13 euros.
image babelio.com
image babelio.com
samedi 26 octobre 2019
François Mauget, ouvrier de l'impossible
La
poésie selon François Mauget ne se haussait pas du col avec la bouche en cul de
poule. Elle prenait le monde à plein cœur, faisait ribote avec Jean-Claude
Pirotte puis, sensible aussi au mysticisme païen, arpentait les premiers
chemins de l’homme avec Françoise Hàn.
Dans
le même temps, sous la lumière encore un peu grise de mars, la compagnie des
Tafurs ouvrait la porte des écoles qui souhaitaient inviter le printemps à la
table des mots. Dans les couloirs et sous les préaux, avec parfois les poètes
eux-mêmes, les élèves retrouvaient leur enfance grave et légère. Ils écrivaient
en prose ou en vers dans la liberté la plus totale puis, juin venant, un
recueil de tous les textes était publié et des ballons porteurs de rimes
étaient lâchés dans l’azur, applaudis par les familles et les passants réunis.
Avant de boire un verre et de savourer quelques amuse-gueules.
François
Mauget, qui ne désespérait pas de l’humanité malgré ses turpitudes, a gardé
toute sa vie son pouvoir d’indignation et, cela va souvent de pair, son pouvoir
d’aimer. Sa volonté a fait le reste qui n’est pas que littérature, la gratuité
des spectacles notamment. Il a offert, en ouvrier tenace, l’impossible aux
hommes et aux femmes venus l’écouter : ouvrir à tous les semaisons du
poème. Dans la mélancolie comme dans la joie.
photo jeanpoustis.over-blog.com
mardi 22 octobre 2019
La revue Vol
Les premiers pas des revues littéraires sont toujours émouvants. Le chemin, sur la page et dans les marges, hésite autant qu'il se précise, s'affirme dans son tâtonnement même.
La revue toulousaine Vol, née au début de cette année, "s'annonce pour l'instant bimestrielle" et "sans thèmes prédéfinis". Abel Kabach et Hervé Gouault, en compagnie de Christine Saint-Geours et Cendres Lavy, convient les auteurs et les illustrateurs "à créer sur plusieurs numéros". C'est le cas de Charles Pennequin, connu notamment pour ses improvisations sonores.
En quatre numéros, (de zéro à trois), des voix de toutes les tessitures, chuintantes comme grinçantes, prennent à bras le corps "l'incurable retard des mots"*.
"Nous ne savons plus lire l'intrigue des choses ni croiser les visages de nos histoires", écrit Abel Kabach, cependant qu'Hervé Gouault s'interroge : "ton monde est-il aussi un château de cartes ?"
Ce pourrait être là comme une profession de foi de la revue : tenter d'élucider ce qui échappe dans un monde de plus en plus incertain.
Au cours des parutions, le lecteur chemine avec Stéphane Bernard et Brigitte Giraud, Fabrice Farre et Murièle Modély, Marc Sastre et Claire Massart... Dans la livraison d'octobre, c'est Jazz, sept ans, qui allume la lumière : "Laisse-moi / croire encore un peu / qu'un jour on pourra / accrocher les météorites / à nos jambes de pierre". La poésie égyptienne y est présente avec Mohsen Elblasy et la performeuse "motsicienne" Râjel nous offre ses "commotions organiques".
Du côté des illustrations, des encres de Sophie Brassart côtoient les sinuosités printanières d'éta-K, (n°1), les noir et blanc très prononcés d'Hélène Bautista s'invitent dans les conversations grises de Cendres Lavy, (n°2), et le corps penché de Sandrine Arakélian, hanté par des pétales carnivores, interroge le corps rayé-tronqué de Valentina Chambrin, (n°3).
Extraits ultra brefs :
De ces années égarées, je me demande souvent ce qu'il en restera. Des frissons, des images avalées, un dialogue persistant avec le plâtre. (Hervé Gouault)
*
Il suffit parfois d'ouvrir la fenêtre,
de tourner mes épaules comme des gonds. (Christophe Sanchez)
*
il n'y a rien à comprendre mais quand même
vous aimeriez bien pleurer la glace qui bloque votre
for intérieur (Heptanes Fraxion)
*
La tapisserie se décolle et montre la chair pourrie des murs
pour l'instant on peut dire qu'il n'y a pas de problème
la terre est toujours sous mes pieds (Cédric Soubrouillard)
*
Et les oiseaux seront témoins
De la blessure des papillons
Dans le giron des roses. (Hafid Saïdi)
*
La revue Vol, 32 pages, imprimée sur papier recyclé, est accessible au prix modique de 4 €. Vous pouvez la commander à l'adresse suivante volrevuvol@gmail.com en ajoutant une somme laissée à votre discrétion pour les frais de port.
* Citation d'Alain Jouffroy
Image 1 Valentina Chambrin
Image 2 Sandrine Arakélian
Image 1 Valentina Chambrin
Image 2 Sandrine Arakélian
mercredi 9 octobre 2019
De la croyance et du singe qui ne rit pas
La
croyance, religieuse ou non, fait partie de l’homme de sa naissance jusqu’à sa
mort. Elle le constitue dans toutes les dimensions du sujet. Cette assertion de
la pensée commune est elle-même une croyance car, dans le langage et les
situations ordinaires, croire et penser sont des synonymes proches.
Dans
la mesure où elle est tenue pour vraie, elle intègre sans qu’il y paraisse le
champ du savoir dont elle écarte souvent toute possibilité de doute. Dans de
trop nombreux cas, elle peut déboucher sur une forme de totalitarisme. Lequel,
la chose est connue, prend notamment sa source dans la langue incantatoire des
religions du Livre et dissémine ses sentences dans tous les domaines de
l’activité humaine : arts, sciences, politique, économie, droit, mœurs,
traditions. Religieuse aussi à sa façon de promettre un avenir radieux, la
croyance en la doctrine communiste, dévoyée par des potentats sanguinaires et
leurs appareils, a également beaucoup sévi sur tous les continents, vidant les
esprits et remplissant les cimetières.
Notre
vingt et unième siècle, ce bateau ivre de promesses et de chimères profanes
autant que mystiques, réunit dans un syncrétisme inquiétant les croyances les
plus ancestrales et les croyances les plus technologiques. Aujourd’hui, par
exemple, on peut croire sans sourciller que les clones du futur seront victimes
d’envoûtements et commettront des assassinats. Ou que les extraterrestres
oeuvrent pour que le ciel nous tombe sur la tête. D’autant plus que la Terre
est plate, n’en déplaise aux astronautes dont les images d’une planète bleue
toute ronde sont des faux grossiers.
Ce
sont là, bien sûr, des cas extrêmes. Les illuminés qui croient qu’un jour le
ciel se décrochera de l’azur comme un plafond vermoulu entraînant du même coup
la chute de Dieu dans la boue, ne sont que quelques cohortes isolées sans
capacité de nuire vraiment. Mais, en matière de croyance totalitaire, le pire
est toujours certain. L’histoire récente des terrorismes islamistes le prouve
cruellement. Les tueries des suprématistes blancs aux Etats-Unis aussi.
L’actuelle
falsification des images et l’immédiateté de leur publication, à la portée de
tout un chacun sur un téléphone portable, renforce les dérives mortifères de
tous les fanatismes. Dans la Grèce antique, la création d’un mythe et sa
propagation dans l’opinion publique prenaient plusieurs décennies voire
plusieurs siècles. De nos jours, les rumeurs les plus folles auxquelles on
croit dur comme fer s’installent dans les esprits en vingt-quatre heures via
les réseaux sociaux. Une telle vitesse laisse peu de temps à la pensée pour
qu’elle se dessaisisse de la croyance, d’autant qu’une rumeur en chasse une
autre tambour battant tout le long des jours.
Mais
venons-en à notre singe qui ne rit pas. Avec ces propos tenus lors d’une soirée
festive par un homme d’une cinquantaine d’années, sobre et calme, au verbe
clair. Il dit : « on nous ment comme on nous a toujours menti. La
théorie de Darwin est fausse. Nous ne descendons pas du singe. C’est
impossible. Nous ne sommes pas des animaux. » Et il fait l’éloge de la
suprématie de l’homme dans l’univers. Ses interlocuteurs l’écoutent. Ne lui
opposent aucun argument. Ne lui demandent même pas qui est le « on »
qui nous mentirait et pourquoi. Ils sont sidérés, voire fascinés par la
croyance absolue de l’individu qui ne fait plus confiance à la science. Il n’a,
du reste, pas lu la moindre ligne de Darwin, qu’il a choisi d’ignorer.
Cette
question de la confiance, (dans les systèmes économiques, politiques, sociaux
et les corps constitués qui les représentent) s’inscrit dans un rapport
inversement proportionnel à celle de la croyance. Moins on a confiance et plus
on croit. On nous ment, répète le quidam qui n’imagine pas qu’un singe puisse
rire puisque le rire est le propre de l’homme.
Et
le mensonge est si général que s’impose une croyance générale, qui fait genre,
qui devient réalité de substitution. Cette réalité de substitution n’est
cependant pas universelle. Elle varie selon que l’on est sachant présumé ou
ignorant présumé. Cramponné à ses statistiques comme l’anatife à son rocher,
l’économiste libéral croyant est convaincu de détenir le vrai à la centimale
près et que cette vérité doit régir toute vie dans la Cité. Cramponnée à son
éprouvé, la ménagère qui a du mal à joindre les deux bouts de son portemonnaie
est totalement sûre que tout augmente dans les magasins et que les chiffres du
pouvoir d’achat sont trafiqués. La confiance perdue devient défiance si les
tensions sociales s’exacerbent. Et va même jusqu’au soupçon d’autrui.
L’anathème alors n’est jamais loin, les croyances ataviques étant aussi
intransigeantes que les croyances religieuses.
Heureusement,
tous les croyants ne sont pas des enragés du prosélytisme. Ils sont nombreux à
accepter que le singe puisse rire tant que le contraire n’a pas été prouvé. Et
leurs croyances sont le plus souvent inoffensives. Les patients qui consultent
un spécialiste de la réflexologie plantaire ou un ostéopathe qui pratique la
désengrammation admettent volontiers que leur démarche intrigue leur entourage.
Les rêveurs qui, sans être mystiques, considèrent qu’une partie d’eux-mêmes
leur survivra sous la forme d’une énergie volatile sont des poètes qu’on peut
aimer écouter. Leur croyance est séduisante, enjolive le quotidien quand il est
trop gris et les enjolive eux-mêmes d’un petit grain de folie assumé voire
revendiqué.
Enfin,
et peut-être aurait-il fallu commencer par-là, la croyance que l’avenir peut
être révélé afin d’en infléchir le cours reste d’autant plus ancrée y compris
dans les esprits dits rationnels que nos civilisations technologiques subissent
une accélération sans précédent. Personne ne lit plus dans les entrailles des
oiseaux mais la consultation de l’horoscope est un usage encore largement
partagé. Les séances de voyance à distance procurent aux charlatans de tout
acabit des subsides confortables.
L’engouement
pour les sites de météo sur internet n’est évidemment pas de même nature
puisque le temps qu’il fera ne peut être modifié par aucune action humaine.
Cependant, avec des prévisions à quinze jours, ces sites transforment la
science en croyance. Les météorologues ont beau répéter qu’ils ne savent pas
prévoir au-delà de quatre cinq jours s’il pleuvra, ces nouveaux dévots gardent
le pouce collé à leur écran, oubliant même de regarder le ciel pour deviner si
le soleil brillera.
Notre
singe qui ne rit pas est peut-être plus sage. Son intelligence est-elle
perméable à la croyance ? Si oui, dépasse-t-elle le stade pratique pour y
accéder ? Auquel cas, rit-il d’autant moins que le grand Tout lui échappe
comme il continue d’échapper à l’homme ?
Mais
c’est encore et toujours une autre histoire, tout en étant la même, que vous
allez entendre.
Conversation pâtissière
-
En fait, si j’ai bien compris,
l’inventaire des croyances est plus épais qu’un millefeuille.
-
La métaphore pâtissière me convient. De
la pâte et de la crème. La pâte de la profondeur imprègne la crème de la
surface et inversement. C’est le syncrétisme. Et pour rester dans la métaphore,
je dirais que c’est un syncrétisme à prise rapide. Comme le béton du même nom.
-
Et on en est prisonnier si on y trempe
le doigt ?
-
Oui. Les anciennes mythologies ont mis
des siècles à s’imposer à la pensée commune. Elles ont été fondatrices de
quelque chose d’indéfini dans l’humain pour son interprétation du monde. Elles
ont généré des récits et inspiré la psychanalyse par exemple. A côté d’elles,
les mythologies technologiques contemporaines sont des produits jetables. Je ne
sais pas comment elles pourront, sans durée, fonder quoi que ce soit. Elles
emprisonnent plus qu’elles ne libèrent.
-
Il en restera bien quelque chose.
Parions que Neil Armstrong accédera au statut de héros mythologique. De même
pour le premier homme qui marchera sur Mars.
-
Peut-être. A la condition que l’oubli
puisse accomplir son œuvre.
-
Comment ça ?
-
L’oubli permet de recomposer des récits
à partir de souvenirs résiduels. Mais est-il encore seulement possible quand
toute trace numérique est conservée par les big data ? Et il faudra
compter avec l’avalanche des croyances crépusculaires engendrées par le soupçon
global.
-
Le millefeuille sera indigeste.
-
Et le béton armé.
-
Ce qui ne fera pas rire ton singe !
-
Je m’inquiète pour lui en effet. Il est
déjà victime des croyances dans l’économie quand on détruit ses forêts.
-
Quelles croyances dans l’économie ?
-
Celle de la croissance perpétuelle. Elle
a déjà beaucoup tué. Elle continue. Des peuplades au Brésil sont menacées sous
le règne mortifère de Bolsonaro. La France s’apprête à défigurer la forêt
guyanaise pour quelques pépites. Alors, oui, mon singe pleure. Peut-être
croit-il que le ciel va lui tomber sur la tête.
-
Euh ! La fièvre de la jungle te
fait perdre la raison, non ?
-
Qui sait ? La pensée du singe est
suffisamment élaborée pour engendrer des émotions complexes. Pourquoi pas des
croyances ! D’autant que celle du ciel qui tombe sur la tête est l’une des
plus archaïques. D’ailleurs, elle persiste chez les hommes. Il y a même une
association du même nom*.
-
Des hurluberlus.
-
Oui. Mais possédés par la pensée
totalitaire conspirationniste. Prêts à glisser dans la banalité du mal. Parfois
sans s’en apercevoir.
-
Change de lunettes ! Tu vois tout
en noir.
-
Tu as raison. Il y a aussi le gris. Le
gris du béton.
*L’association
Le ciel nous tombe sur la tête dénonce des épandages aériens de produits
chimiques dont le but serait de modifier le climat. Lesquels sont démentis par
toute la communauté scientifique mondiale.
dimanche 29 septembre 2019
Jindra Kratochvil, toutes mes pensées ne sont pas des flèches
La seule chose dont Jindra Kratochvil soit vraiment sûr, c'est que "le tout premier jour de l'univers fut un mardi".
Son recueil de proses fragmentaires toutes mes pensées ne sont pas des flèches se présente comme un relevé des incertitudes du réel ordinaire et cosmique. A tel point [qu'il se pourrait que notre époque ne soit pas la nôtre]. D'autant que les mouvements du temps ne sont pas clairement identifiables.
Comment résister alors à l'effet de serre du désenchantement dans un monde si souvent cul par-dessus tête ? Comment s'accommoder du charabia des séminaires et des télécommandes aux boutons "si désespérément nombreux" ? Comment se retrouver dans la profusion fumeuse des sciences dites alternatives et les "avertissements indispensables " au consommateur ?
Le parti du rire grinçant, très grinçant, apparaît comme la solution la plus viable. Puisque le "monde se fait chier", autant s'intéresser à "l'appellation officielle de la face striée des steaks hachés" ou à la fonte du fromage dans les paninis, sans perdre de vue qu'il existe une galaxie en forme de brocoli.
Le réel serait-il comestible en ses traces résiduelles et la grande peur conjurée ?
Jindra Kratochvil avoue son impuissance à répondre à une question pareille. Avec des pensées dont l'étendue est inférieure au millimètre, ses flèches atteignent peu souvent leur cible. La cible mouvante de l'absurde dans tous ses états, qui empêche l'entendement d'aborder à quelque rivage que ce soit.
Au jeu des appariements littéraires, Jindra Kratochvil étant originaire d'un pays qui n'existe plus en tant que tel (la Tchécoslovaquie), on peut penser à l'univers parfois baroque de Bohumil Hrabal dans Une trop bruyante solitude, revisité par le facétieux inventeur de villes invisibles que fut Italo Calvino.
Extrait :
la petite porte
N'oublions pas que la petite porte par laquelle on passe dans un univers parallèle peut se cacher n'importe où : derrière une vieille armoire, sous l'évier de la cuisine, au fond du placard où sont stockés les vêtements d'hiver. Elle n'aime pas trop être dérangée, la petite porte, elle cherche toujours à se faire oublier.
Sans doute pour éviter d'être malencontreusement prise pour une solution miracle.
Ce premier recueil, très réussi, est une suite de gourmandises à lire et à dire avec jubilation et nous attendons d'ores et déjà la suite. Il est édité par les toutes nouvelles éditions le clos jouve à qui nous souhaitons les plus belles aventures. toutes mes pensées ne sont pas des flèches coûte 19 euros.
vendredi 13 septembre 2019
Jérôme Lafargue, Le temps est à l'orage
Un guerrier peut-il devenir troubadour ? Un troubadour parfait ? Peut-être faut-il, même à vingt ans, disposer d'une mémoire très ancienne pour en arriver là.
L'histoire du tireur d'élite Joan Hossepount ne commence pas à la fin des années quatre-vingt dans un bourbier où [les pétales jaunes d'un champ de jasmin se parent de gouttelettes de sang] mais le 2 décembre 1805 dans la neige boueuse d'un plateau près du village d'Austerlitz. Son ancêtre Guilhem Hossepount, seize ans, tue un officier autrichien à deux cents mètres de distance. La précision de son tir éblouit un vieux grenadier de la Garde Impériale et ouvre sa vie à des chemins qu'il n'aurait jamais pu imaginer.
Devenu luthier, sachant désormais lire et écrire, Guilhem construit sa maison dans un hameau landais qui donne sur la forêt et les lacs d'Aurinvia. Un hêtre multiséculaire pousse non loin de là. Aurait-il des pouvoirs comme le frêne scandinave Yggdrasil, cet "arbre divin, mythique source de la vie et maître des destins, lien entre les mondes souterrain, terrestre et céleste" ?
Bien longtemps après, Joan l'étreint régulièrement, lui parle en gascon et en latin, puise des forces pour apprivoiser les tumultes de son existence hantée par trop de morts, dont celles de Will et de sa compagne Anna.
Mais il y a sa fille espiègle qui lui fait "l'effet d'un philosophe en culottes courtes". Mais il y a l'ami Ernest dont il fréquente la librairie pour ses recherches sur son aïeul et le plaisir inquiet de la conversation.
C'est que de graves menaces pèsent sur la forêt et les lacs d'Aurinvia. Des individus s'y livrent à des mises en scène macabres. Lourdement armés, ils ont creusé une tranchée...
Mystérieusement aidé par son chat, Joan retrouve leur trace et l'instinct du guerrier malgré lui qu'il a été, jusqu'à en vomir.
L'orage gronde sur la terre comme au ciel. Un orage peuplé de chimères océanes qui orchestrent une énigmatique partition.
Il faudra beaucoup de temps à Joan pour la déchiffrer et devenir un troubadour parfait au café du Vieux marin où il chante, accompagné de sa guitare, ses compositions de la vie ordinaire. Et beaucoup d'expérience pour comprendre que "le monde n'est ni simple ni complexe, il n'est que ce que l'on décide d'y projeter soi-même".
Jérôme Lafargue signe avec Le temps est à l'orage un roman dont l'écriture manie aussi bien la violence que la tendresse. Sans outrance ni mièvrerie, il offre au lecteur ému de belles pages sur l'amitié. Ses descriptions des tourments géologiques de la terre comme celles de l'atelier de Guilhem sont d'une précision qui élargit dans l'imaginaire la signification du moindre détail. Enfin, sa relation des mythologies rurales liées à l'errance intérieure du personnage rappelle, ici ou là, les travaux de l'historienne et archéologue Fred Vargas.
Extrait :
"Un hêtre géant a alors crû, protégé par l'entrelacs de ruisseaux, d'étangs et de cascades. L'un de ses rejetons, celui-là même situé à proximité de la maison, s'est approché de la mer, comme pour s'acquitter d'une dette ancienne. Au fil des siècles, des inondations et des bouleversements géographiques, deux autres lacs sont venus tenir compagnie à l'étang des Lucioles, s'établissant sur des plateaux dominant la plaine et la côte océane à plus de trois cents mètres de hauteur. Chacun avec son histoire, sa toponymie, sa légende.
Le lac du Loup, mare où venaient s'abreuver des meutes de ces animaux tantôt despotes, tantôt pourchassés et trouvant refuge dans la forêt.
Le lac Malenconia, "mélancolie" en gascon, car s'y rejoignaient les âmes tristes et souffrantes ; plonger son regard dans ses eaux blanches apportait la vision sans équivoque de ce qui vous attendait : peine infinie, rémission provisoire ou rebond définitif."
Le temps est à l'orage de Jérôme Lafargue est publié aux éditions Quidam et coûte 18 euros.
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