mercredi 26 août 2020

Laurine Roux, Le Sanctuaire


 Parfois, les livres continuent de chuchoter à l'oreille du lecteur après qu'ils ont été lus. C'est le cas du deuxième roman de Laurine Roux, le Sanctuaire. Il chuchote et s'insinue, mais où ? Plus encore, il fredonne : "Mon amour, mon cabri". Et la ritournelle, comme toutes les ritournelles, cherche un lieu sûr dans l'imaginaire si tant est qu'il puisse s'en trouver un.
Rappelons que par analogie un sanctuaire est un endroit protégé des menaces extérieures où il fait bon se réfugier. Ce n'est pas du tout le cas de celui de Laurine Roux. Et les "Gloria" lancés à la face du ciel n'y changeront rien. La montagne qui accueille en son flanc June, Gemma et leurs parents est dangereuse. Armé de son lance-flammes dont il vérifie régulièrement la capacité opérationnelle, le père organise la défense du refuge comme un chef de commando. L'ennemi, tapi dans le corps des oiseaux, n'a épargné personne sur la planète. Mais il y a des survivants, probablement retournés à l'état de barbarie. Peut-être même à côté, terrés dans les galeries de la mine de sel abandonnée. Le moment venu, il faudra savoir se défendre. Le fusil trouvé par le père dans une maison dont le propriétaire est momifié ne sera pas de trop.
Et Gemma, la très énigmatique Gemma physiquement attirée par la mine n'a pas sa pareille au tir à l'arc. Elle pourrait abattre un aigle au coeur des nuages. Elle pourrait le dépecer encore vivant car "elle est plus forte que la peur". 
Sauf que... "Mon amour, mon cabri"... ou "Hippie Hippo Pop" ! Arghh ! Même entonnées en canon par les deux soeurs, celle qui a connu le monde d'avant et celle qui est née dans celui d'après, les antiennes ne peuvent rien contre l'ennemi des ennemis. Le lecteur, lentement sidéré, comprendra d'où il vient et de quoi il se nourrit. Mais peut-être qu'il sera trop tard. Ou pas. Qu'y a-t-il de l'autre côté de la montagne ? "Mon amour, mon cabri"...

Dans l'actuel contexte de crise sanitaire mondiale, le roman de Laurine Roux suscitera une émotion d'autant plus profonde qu'il est magnifique tout du long même s'il est court. Brève et concise, jouant habilement des vitesses de l'écriture pour faire monter la tension, la prose de cette auteure déjà experte (lire Une immense sensation de calme aux éditions du Sonneur, prix SGDL Révélation et disponible en Folio) n'empêche pas la poésie d'affleurer entre les mots. Ni la dramaturgie, crescendo crescendo, de prendre à la gorge. Le lecteur, cet ingrat jamais repu, trépigne déjà d'impatience. Il ne doute pas que Laurine Roux sera au rendez-vous d'une troisième livraison, aussi haletante et vertigineuse que le Sanctuaire.

Extrait :

Un aigle plane au-dessus de nos têtes, il fend l'air de ses rémiges grises, presque métalliques. La symétrie parfaite de ses ailes, leur étau absorbent mon regard. J'ai peur, terriblement, à en réduire mes os en poudre : la mort danse au-dessus de nos têtes. Plus l'oiseau resserre ses cercles, plus mes yeux s'y aimantent. Papa m'administre un coup sur la nuque. Je manque tomber en avant. Il faut tuer le rapace. Maintenant ! Sonnée, j'arme l'arc, vise.
Armer, viser, tuer : voilà ce pour quoi je suis programmée.

le Sanctuaire de Laurine Roux est publié aux éditions du Sonneur et coûte seize euros.

vendredi 21 août 2020

Sawako Ariyoshi, Les dames de Kimoto

 En 1897, Hana a vingt ans. D'une grande beauté et d'un niveau de culture très élevé pour les femmes de l'époque, elle se plie au mariage arrangé par son père et sa grand-mère. Elle descend le fleuve Ki, cloîtrée dans son palanquin orné de poudre d'or. D'autres embarcations suivent avec les proches, les serviteurs en livrée et la dot, qui fait l'admiration des riverains lors des escales. Hana entre dans la famille des Matani et découvre son mari... Keisaku, propriétaire terrien, nourrit des ambitions politiques et entretient à peine secrètement quelques geishas. C'est l'usage. Hana ne s'en plaint pas. Elle se soumet de bonne grâce aux usages de sa nouvelle maison et tolère comme elle peut le frère de son mari, intellectuel ambigu et souvent acariâtre. Cependant, le devoir de l'enfantement accompli, un fils est né, porteur des plus nobles espoirs, Hana prend peu à peu un ascendant discret sur la carrière de son époux...


En 1903, naît Fumio. Ses pleurs et ses cris, d'une ra

e violence, annoncent une personnalité hors du commun. A l'école secondaire, ses tenues excentriques suscitent la réprobation d'autant qu'elle adopte des attitudes de garçon manqué, allant même jusqu'à faire de la bicyclette. Si au moins elle ne revendiquait pas des opinions politiques sulfureuses ! Elle n'a que le mot démocratie à la bouche. Et ses disputes avec Hana sont très âpres quand elle refuse de jouer du koto qui incarne la tradition honnie. Etudiante à Tokyo, elle participe avec ardeur à une revue littéraire qui milite pour les droits des femmes. Comme, notamment, celui de pouvoir choisir son mari. Fumio épouse Eiji Harumi en 1925. Le couple, fasciné par la modernité occidentale et le cinéma américain, part vivre à l'étranger.

Après avoir donné naissance à deux fils dont un mort en bas âge, Fumio accouche d'Hanako en 1931, par temps de neige. Ayant vécu de nombreuses années à New York, la jeune fille ne connaît rien de la culture traditionnelle de son pays quand elle rentre au Japon. Intellectuellement précoce, elle écoute avec la plus grande attention les récits de sa grand-mère. Puis la guerre arrive. Hanako participe à l'effort de la patrie en cousant à la chaîne des cols sur des uniformes. Le déclin s'annonce. Les propriétaires terriens perdent la plupart de leurs biens fonciers. La nourriture même vient à manquer. La mort emporte des êtres chers. L'avenir sera-t-il moderne ? Ou bien...

Sawako Ariyoshi, (1931-1984), a été qualifiée par la presse française de Simone de Beauvoir du Japon. Son roman, Les dames de Kimoto, autant sociologique que psychologique, avec ses violences feutrées (ou pas), est une oeuvre remarquable.

Disponible en folio

dimanche 16 août 2020

Cinq cents articles publiés au milieu du gué, fin

 Que dire d'autre ? Je ne sais pas. Des étonnements parfois, quand, par exemple, je constate qu'un article vieux de cinq ans a été vu et peut-être lu. Et, aussi, quelques attachements particuliers voire amicaux avec Salah Al Hamdani, Christophe Sanchez ou encore la jeune Céline Escouteloup. Enfin, récemment, mon travail d'écriture sur les images de Cédric Merland qui sera publié courant 2021 par Recours Au Poème. Voilà. C'est tout. La fin de liste qui suit n'est pas exhaustive bien entendu. 

- Michel Bourçon, Ce peu de soi, 29 avril 2018, 308 vues

- Jakuta Alikavazovic, L'avancée de la nuit, 15 mai 2018, 383 vues

- Jean Giono, Le grand troupeau, 30 septembre 2018, 386 vues

- Estelle Fenzi, Poèmes western, 12 novembre, 2018, 383 vues

- Laure Gauthier, Je neige (entre les mots de Villon), 5 décembre 2018, 491 vues

- Amos Oz, Judas, 26 février 2019, 253 vues

- Emmanuel Echivard, Avec l'ombre, 27 août 2019, 281 vues

- Jindra Kratochvil, Toutes mes pensées ne sont pas des flèches, 29 septembre 2019, 292 vues

- Valeria Luiselli, Archives des enfants perdus, 27 février 2020, 165 vues

- Adeline Baldacchino, De l'étoffe dont sont tissés les nuages, 13 mars 2020, 239 vues


photo 1, plage de Vielle dans les Landes

photo 2, collage de Brigitte Giraud sur la saint-Didier

jeudi 13 août 2020

Cinq cents articles publiés au milieu du gué, 1

 Cinq cents est un nombre tout bon tout rond pour faire un bilan tout pimpant tout réjouissant.

J'ai créé mon blog le 5 octobre 2011 avec un topo sur mon recueil Battre le corps. L'article a été vu 37 fois.

Très vite, je me suis lancé dans la chronique de livres. Des romans bien sûr, des recueils de poèmes évidemment, mais aussi des essais en sociologie, anthropologie, histoire et philosophie. (Corbin, Augé, Rödel, Filiu, Pline le jeune...)  Dans le domaine littéraire, je n'ai pas oublié les revues, si indispensables à la circulation des mots. (Phaéton, Le Festival Permanent des Mots, La Piscine, Métèque, Voleur de feu, Rebelle, Vol)

N'étant pas meilleur que n'importe qui d'autre, j'ai aussi publié quelques-uns de mes textes dont les poèmes que j'ai écrits en espagnol (Poemas pobres y algo màs), des récits de voyage (à Porto et à Angoulême) et des morceaux de romans ou de récits dont Merci maman de m'avoir abandonné.

Avec le temps, mon intérêt pour le blog s'est émoussé. Et je suis un fainéant incurable. Une chronique me demande au moins deux heures de travail après une lecture attentive de l'ouvrage, accompagnée de relectures partielles. Alors, le titre de cet article est peut-être inexact. Irai-je jusqu'à mille articles ? Rien n'est moins sûr. 

Je reste cependant heureux d'avoir évoqué ici toutes sortes de livres d'auteurs connus ou inconnus, voire oubliés. Voici quelques rappels :

- Perrine Le Querrec, Le Plancher, 9 mai 2013, 224 vues

- Hélène Révay, L'écaille de la nuit, 2 mai 2015, 661 vues

- Thomas Vinau, Bleu de travail, 10 septembre 2015, 253 vues

- Béatrice Mauri, Iench, 7 mars 2016, 212 vues

- Maurice Pons, Les saisons, 2 mai 2016, 541 vues

- Patrick Rödel, Michel Serres, la sage femme du monde, 16 juin 2016, 685 vues

- Rick Bass, Toute la terre qui nous possède, 10 juillet 2016, 984 vues

- Christophe Sanchez, Morning à la fenêtre, 14 septembre 2016, 1300 vues

-Brigitte Giraud, Passage au bleu, 15 septembre 2016, 1234 vues

- Alain Corbin, Histoire du silence, 25 septembre 2016, 1112 vues

- Edith Masson, Des carpes et des muets, 20 octobre 2016, 1175 vues

- Frédérique Germanaud, Quatre-vingt-dix motifs, 24 juin 2017, 158 vues

- Leo Perutz, La troisième balle, 27 juillet 2017, 60 vues

- Friedo Lampe, Orage de septembre, 11 août 2017, 125 vues

Il semble que l'année 2016 ait été faste pour le fréquentation du blog. Des Chinois, allez savoir, se seront intéressés à ma production, domaine où ils excellent c'est bien connu.

La suite demain ou après-demain...

Photo personnelle


vendredi 29 mai 2020

Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi (après)

La route est le dernier vestige à faire corps avec le paysage depuis que les humains ont disparu. Quand le ciel a retrouvé ses couleurs à la suite d'une tempête magnétique, les arbres se sont repliés de l'autre côté du monde. Les animaux les ont suivis. Une longue procession par voie de terre, d'eau et de nuages. Silencieuse. Obstinée. Puis le béton des enceintes et des tours s'est effondré en un souffle, comme s'il n'avait jamais été qu'un trompe l'oeil. Quelques ombres sans objet témoignent encore de la vie qui clopinait là. Presque absente déjà sous les allèges affaissées. Dans les brisures aux angles de fuite. Les rêves grandissent mieux dans les espaces contraints où le noir persiste. Le promeneur n'est pas parti avec les animaux de l'autre côté du monde. Le ciel y est rouge comme s'il saignait et tombe trop bas sur les ramures. Un grésil crevassé étouffe la surface des rivières et des lacs. Le promeneur pense à un corps qu'on aurait battu à mort. Et frissonne. Le refuge de pénombre qu'il a creusé dans le sable ne durera pas. L'étayage des lauzes contre les parois craque déjà. Il devra s'en aller. Quitter ce séjour où il pensait pouvoir accomplir sa solitude. Plus au nord, les ocres semblent plus tendres. Des nuances vert sombre laissent deviner des présences qui résistent aux travers de la lumière. Quand le noir et le blanc reviendront ajuster le jour à la nuit, des herbes rases se lèveront avec le vent. Des remuements parmi les lichens et le long des hampes annonceront de nouvelles naissances. Le promeneur n'a aucune idée de ce qu'elles seront. Quels signes adresseront-elles à son regard ? A sa patience dans l'épreuve des durées ? Il faudra marcher longtemps encore. Traverser de vraies coulisses et de faux décors. Ecouter les silences entre les bruits. C'est là que se trame la possibilité du réel. Une construction de formes changeantes. Les arbres le savent bien. Quand la route aura elle aussi disparu et que les couleurs se seront de nouveau effacées, ils reprendront le fil de leur écriture. Sous la terre et sous les étoiles. Dans la mire du noir et du blanc.

samedi 23 mai 2020

Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi (avant)

Les grains du sable et les grains du ciel. L'accord des ocres et des bleus. Dans le premier silence du monde. Parfois, au pli d'un contrefort, le vent exhume des restes indéfinis. Les fragments rassemblés dessinent des empreintes qui ne témoignent de rien. L'image ne dure pas. Ne peut pas durer sans mémoire. Des animaux pourtant ont passé comme passent les nuages. Des meutes. Des hardes. Des envolées. Ou des processions ténues de petits peuples. Chassées par les orages des confins et le fracas monté de la chair. Vers la mort qui n'avait pas encore de nom. Rien n'était désigné du visible et de l'invisible. Aucun regard ne faisait la part de l'eau et du feu qui régnaient sur les choses. Puis. Mais dans quel temps ? Quelle durée à même de dissoudre le flou des illusions ? Des humains sont venus. Ont découvert le paysage sous le silence. Ajusté leurs gestes aux courbes des étendues. Le ciel et la terre se sont apaisés. Des ocres plus profonds ont tracé des lignes nouvelles, inventé de nouvelles correspondances avec le passage des bleus. Bientôt, des rehauts de rouge feraient corps avec les veines blanches de l'horizon. Et le regard enfin trouverait sa juste mesure. Entre les remuements du sable et l'énigme des étoiles. Mais les humains s'inquiétaient des longues fatigues qui suintaient dans leur sommeil. Rêver ne les tenait plus debout. Trop de sang avait coulé pendant le voyage, parfois jusqu'à la dernière goutte en emportant les viscères. On ignorait pourquoi. Aucune blessure préalable. Aucune douleur. Les rescapés avaient chargé sur leur épaules ce qui restait de peaux et d'os et le voyage s'était poursuivi tant bien que mal. Avec les mêmes paroles économes, à bas bruit contre le charivari universel. Celui-là même qui, désormais. Insidieux dans la mélancolie. Les rêves pesaient de plus en plus lourd. Les gestes s'étrécissaient. Les grains du sable et les grains du ciel oxydaient la pensée élémentaire. On ne comprenait plus le vent. On doutait de la présence de la lumière. On. On. Puis le noir tomba.

mercredi 20 mai 2020

Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi, 5




















Des rumeurs encore. On dirait qu'elles ont mille ans. Qu'elles viennent d'un autre monde. D'une autre langue. Les murs noirs ont chassé la lumière de l'espace et du temps. Les chemins se jettent dans le vide. Les troupeaux à l'écart ont les yeux qui éteignent. Et la tour veille comme elle a toujours veillé. Sur l'invisible. Un jour, il apparaîtra.

Le promeneur relève son col. Quelque chose en lui sourit. D'une mémoire plus ample que son corps. Avec ces mots qu'il saisit : l'univers passe par mailles comme une vieille chaussette l'infini n'est jamais qu'un fini qu'on ne sait pas finir

Et il se met à rire en regardant le ciel. Cette mélasse tombée d'un faux plafond. Un machiniste grimaçant la verse à seaux percés. Le paysage peut bien tomber aussi. Qui voudrait le relever ? Au prix de quels mensonges ?

Le promeneur se réfugie sous l'arbre et s'apaise. C'est un lieu sûr même pour douter. Et si l'univers était vraiment une vieille chaussette ? Un frémissement traverse le feuillage, dessine une échancrure. Un autre récit pourrait se déplier. Avec l'assentiment du petit peuple des écorces. Il ferait cercle autour du promeneur et prêterait sa voix. Mais le conte serait bancal. Rien n'existe sans ce qui trébuche.

samedi 16 mai 2020

Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi, 4

Le promeneur a toujours deviné que les arbres écrivent aussi. Que les empattements des branches jetées contre le ciel tiennent le paysage debout. Dans ses enfances déjà, il n'imaginait pas les échos de la rivière sans les jambages des saules. Les coulures des écorces au fond des marais traçaient des signes avec la terre qu'il aimait fouler.

Après tant et tant de marches, comment savoir ce qu'écrivent les vieux fûts des vieilles forêts comme les jeunes pousses des jardins verts ? Dans quelle épreuve du regard retremper la patience ?

Attendre encore. Interroger la matière noire des entrepôts déserts, plus loin, sur le front du rivage. Oser des correspondances restées lettres mortes. Les créneaux du béton sont des chicots. Les vastes oiseaux des mers ne viennent plus là depuis longtemps. A quoi bon apporter des messages que personne ne lira !

Mais le promeneur ne renonce pas. Il y a tant de rumeurs dans son corps et dans le corps du bois. Venues d'un temps si lointain. Au coeur de la chair comme au coeur de la cerne. Des réponses possibles. Ou rien.













mercredi 13 mai 2020

Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi, 3




















 Il y a eu un drame ici. Personne ne sait dire vraiment, accident ou suicide, meurtre pourquoi pas. Des murmures parfois, autour des poutrelles où le vent s'est pris, ravivent les inquiétudes. Quelqu'un aurait vu des choses. Aurait été seul à les voir. Puis a disparu.

Le promeneur n'est pas inquiet. Il aime disparaître quand il marche. Son corps s'efface parmi les herbes du talus au bord de l'autoroute. Son esprit va plus léger à la rencontre du fleuve en contrebas. La lumière suspend tous les mouvements à ses entours. Ni les nuages ni les oiseaux ne font signe. L'eau reste sans tain.

Il faut descendre encore, disparaître davantage. Dans une durée plus ample du paysage. Où l'arbre se déplie comme un récit. Quatre cavaliers reviennent d'un lointain voyage. Ils ont des lévites et des aigrettes. Leurs yeux se sont étrécis d'avoir trop vu la débâcle du monde. La paix est là pourtant, sous le ciel de crépi qui ouvre les ramures. Le sang ne coulera plus. Les oiseaux retrouveront le chemin des poutrelles.

Le promeneur remonte lentement vers l'autoroute. Mais à qui appartient cette silhouette assemblée sur le bitume ?

lundi 11 mai 2020

Cédric Merland, Les arbres écrivent aussi, 2



Personne n'est venu habiter là. Personne n'y viendra jamais sans qu'on sache pourquoi. L'horizon n'est pas un lieu sûr pour les corps quand le vent reste à l'affût. Mais de quoi ? De qui ? Que disent les arpents de terre sèche entre les tours, les orties couchées sous les allèges ?

Le promeneur a de sombres pressentiments. Trop de vide pèse sur ses épaules. Il cherche un autre décor dans les embrasures du décor. Les lignes y feraient des plis, dessineraient des envers. Un frisson traverse l'esprit et le regard. Les ombres non plus ne sont pas sûres.

L'arbre nu résiste seul à la poussée du ciel. Ses ramures noires soutiennent comme elles peuvent le paysage désemparé. Le petit peuple des écorces se blottit et attend. Une trouée de blanc écarte déjà les nuages. Un oiseau la traversera. Ou un avion. Ou le rêve d'un enfant perdu.

Le promeneur sourit. Ressaisit son corps contre le vent. Il y a tant de coulisses entre les images. Entre le noir et le blanc.