Cinquante
ans après, tu parles encore de la mort de ton chien dans la neige.
Qu'avais-tu donc fait de mal
pour mériter ce malheur ? Tu te souviens des traces de sang que tu
avais suivies jusqu'à lui. Un chemin que tu refais sans cesse, goutte à
goutte, quand ton coeur bat de travers.
La
ville depuis dix ans est un remuement de terre et de trous. Comme un
cri ouvert qui pourrait nous figer
dans sa glaise. Avec tout ce qu'il y a de vieux restes sans mémoire.
Des os et des tessons, des fragments d'étoffes ou de grès. Nous
ignorons dans quelle langue ils se trouvent, qui nous
rapprocherait de leur durée. Un peu de mélancolie fait battre nos
paupières. Nous creusons notre corps comme on creuse la ville. Et rien
ne le remplira jamais, nos larmes sont trop sèches, nos
silences trop vides.
Tu me demandes parfois comment c'était les courtilières. Tu fermes les yeux pour que ma mémoire revienne. Les
mots que je vais dire te font déjà frissonner. Avec leurs mâchoires.
Comment aurions-nous pu grandir puisque nous ne sommes pas encore nés ?
Un
pont désormais embrasse les deux rives du fleuve, là où il n'y avait
qu'un brouillon de paysage. Nous
irons appuyer ce qui nous reste de mémoire au nouveau parapet. Nous
inventerons comme nous l'avons toujours fait des cris d'oiseaux dans la
lumière basse du jour.
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