(A propos du roman La maison sans issues, huis clos dans une maison à Londres pendant les bombardements de la deuxième guerre mondiale)
Je me suis éveillé ce matin en pensant à La Maison sans Issues et j'ai rugi de rire. Je pensais à M. Johns, le marin ivre, à Clem le petit génie et à Léna sa femme, avec son "cancer au coeur". Et je lâchai un nouveau rugissement. Car ce livre entier n'est qu'un long et formidable rire d'ordure océanique noyée dans une jungle glauque d'icebergs fêlés, de démence, d'hystérie, de vomit, de flammes et d'hallucinations. Il part de tous les côtés à la fois, à la suite de M. Johns le marin, et filant avec lui par la tangente, va se perdre dans les limbes. Clem, le petit "geavénavie" n'en finit plus de retoucher son immortelle toile ; sa femme de courir après les pilules ou les compresses au vinaigre ; M. Johns, de chercher après un fichu verre ; l'homme au Philco, d'essayer de prendrée la Bolivie sur son poste de radio ; Gwen, d'attendre son Richard, et celui-ci, de son côté, de guigner les cadavres, les bombes incendiaires ou le bref répit que lui laisseront les fureurs punitives d'en-haut. Tout cela se passe dans une maison de Londres, une nuit de raid aérien. Une maison qui a tout de l'asile d'aliénés, qui est la réplique exacte de cette autre maison de fous qu'est le monde extérieur, sauf qu'elle se tient dans l'esprit et que rien ne saurait mettre un terme à ce mécanisme d'horloge en folie, qu'un cataclysme.
Le style auquel Hanley a recours pour enregistrer cette dégringolade hallucinante, est magnifiquement adapté aux exigences que l'auteur lui-même s'est fixé. On sent que l'écrivain n'est pas seulement présent dans la suite en apparence incohérente des événements qui s'accumulent et se chevauchent pêle-mêle, mais qu'il est au plus fort des ruines et du bric-à-brac de l'esprit même. La langue qu'il emploie est celle du désordre à son extrême, de la démoralisation totale, et il s'y tient d'un bout à l'autre, avec une rigidité et une consistance qui rappellent ce cauchemar dont Kafka fit sa demeure. L'humour est sauvage, explosif, tour à tour attendri et loufoque. C'est de l'humour altier, de l'humour de dieux qui roulent sous la table. Le narrateur ne s'accorde pas le moindre commentaire, fût-ce indirect, il a "la touche arctique"- de quoi faire courir un petit frisson glacé du haut en bas de la colonne vertébrale...
Incipit :
Après que le déluge de bruit eût cessé, que le vent fût tombé, le marin s'affaissa. Il était malade. Ils étaient dans un désert d'air.
- "Nom de... ! Sors-moi d'ici," cria le marin.
- "Lève-toi," dit le petit homme ; il se mit à tirer. Des crissements se firent entendre.
- "C'est de la glace," dit le marin. "Sors-moi d'ici." Retombant, ses mains devinrent des tentacules, explorèrent tout autour. "La glace, ça me connaît,"dit-il, "il y a toujours quelque chose de mouvant en dessous de la glace, je m'y connais."
- Du verre, espèce d'idiot," dit le petit homme ; son imperméable bon marché dégouttait, son casque continuait à lui tomber sur le front. "Lève-toi !" Penché, les bras entourant le marin, il tirait, tirait dur.
- " Va au diable," cria-t-il, "quoi, tu es saoûl."
La lune émergea d'une gerbe de lents nuages.
Paru sous le titre original de No Directions et traduit de l'anglais par Jean-Claude Lefaure, la dernière édition en France de ce roman remonte à 1987 chez 10/18. J'en recommande vivement la lecture. Pour le style souvent proche du chaos des situations comme du chaos des corps. Dans la postface, l'universitaire Jean-Pierre Durix compare l'art de James Hanley à celui de Pinter et de Beckett.
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