dimanche 3 décembre 2017

Sandra Lillo & Cédric Merland, Le silence coule sous les branches

Découvrir de nouveaux talents, comme découvrir de nouvelles terres, me transporte dans l'étonnement des premiers matins du monde. Ainsi, la poésie simple et puissante de Sandra Lillo (reverdienne parfois) et la lumière nuageuse des images de Cédric Merland, apprivoisée avec le noir dans Le silence coule sous les branches.

Sandra Lillo regarde les paysages comme elle regarde des visages. Elle est aussi regardée par eux quand elle [range dans des valises imaginaires / les routes les paroles rabattues / la poussière des étés perdus]. Tout un va-et-vient fragile entre la mémoire des chambres "dans lesquelles l'enfance dort" et les trouées des fenêtres, avec en bruit de fond les rumeurs de la mer et le frémissement des grands arbres au passage des ambulances. La douleur aussi est en maraude, dans la fatigue, dans le silence, dans l'impuissance de naître vraiment. Mais naître à quoi ?

En résonance, en chambre d'écho pourrait-on dire, les images de Cédric Merland nous livrent les tourments de la lumière en prise avec le noir. Des lignes souvent dessinent des géométries ouvertes ou fermées, (barrière, grillages, bande blanche au mitan du bitume, bastingage en demi-lune, fils électriques oblitérant le ciel ou réverbère sous le crachin des nuages...) Nul apprêt dans ces images de hautes solitudes sous le firmament trop vaste, seulement cette prescience du regard, cette anticipation de l'instant qui vient. Même quand les horloges rouillées nous renvoient à nos chimères qui, elles aussi, participent de cette naissance qui n'en finit pas.

Ce magnifique ouvrage de Sandra Lillo et de Cédric Merland, au format carré, est présenté dans une boîte-coffret. Les pages, non numérotées, non reliées, peuvent s'assembler selon les hasards de la lecture, les émotions, les intuitions suscitées au gré des agencements. L'impression des photographies, très soignée à en juger par la profondeur des noirs, fait de ce livre-objet une authentique oeuvre d'art.

Nous saluons le travail d'infinie patience de l'éditrice Valérie Ghévart à l'enseigne de La Centaurée pour ce superbe tirage.

Extraits : 

On retient ce qui reste

à l'intérieur des cordes tendues par
le monde

une lampe allumée dans la nuit un
souvenir

comme une minute qui ne s'achève
pas

La mer est toujours derrière nous 

*

Le lampadaire éclaire l'arbre devant
la fenêtre

le vent chuinte dans ses feuilles le
sommeil d'une forêt entière

Tu ne veux pas fermer les yeux
la nuit du dedans éteint les étoiles

la terre ne suffit pas

*

Vapeurs d'eau de terre mouillée
au bas des fenêtres

l'orage gronde de loin en loin

Tu aimerais que tout s'arrête
les claquettes du manège sur la place
du marché

l'homme qui crie dans la rue le soir
qu'on lui ouvre la porte ou les veines

les jeux de dames jamais
terminés

*

Le silence coule sous les branches, aux éditions La Centaurée, coûte 24 €. Une excellente idée pour un cadeau original à Noël.

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