La compagne aimée demande si la douleur n'est pas trop forte. Ses lèvres dessinent des papillons roses et butinent les calices du bouquet dans son vase. Il faudrait qu'il ait un col de cygne pour que l'image soit totalement sucrée. On sourit et la douleur reflue. On pense aux années déjà partagées, à celles qui viendront encore. Avec leurs mots pour épauler les corps. En attendant.
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Le poète Joe Bousquet est resté alité de 1918 à 1950. On imagine mal l'insurrection de sa jeunesse fauchée par un fusil quelques mois avant la fin de la guerre. On ignore comment ont pu avoir lieu des accommodements raisonnables avec l'absurde. Les grandes douleurs sont-elles vraiment muettes ? Quel poète serait devenu Joe Bousquet si la tragédie avait surgi d'un autre hasard ? On passe avec cette question un moment filandreux. Qui épaissit l'esprit. Le corps aussi s'engourdit. On tirerait volontiers les rideaux dans la chambre. Que soient submergées toutes les ombres sous le lit et la peau ! Joe Bousquet aura souhaité cela parmi des milliers d'autres souhaits. Dans la colère. Dans la malédiction de toutes les boucheries humaines. Etre cloué à vingt ans comme un coléoptère sur une planche ! Puis dans quelque chose comme un apaisement nécessaire. Un apaisement qui ne s'est pas résigné. Qui a continué à faire vivre les restes du corps. Inexorablement.
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On vide toutes les heures une poche remplie d'urine et de sang. On mire la couleur du liquide comme autrefois on mirait les oeufs fécondés. Piètre comparaison. Où se trouve la vie dans ce caillot qui glisse si mal le long du tuyau en silicone ? Et la mort, que trame-t-elle dans les plis les plus sombres ? On s'agace. On referme le robinet de la poche. On s'en retourne à la couche. Tout est calme dans la maison. Les objets restent à leur place d'objets, ne contrarient pas les gestes rétrécis. Le bouton d'un tiroir jette un ou deux éclats de nacre. La lampe du salon n'organise aucun mystère avec des ombres fausses. On tiendra jusqu'au soir sans les tromperies des questions. On saura faire respirer l'esprit au creux du ventre.
(Ces textes font partie d'un ensemble imprévu, qui a commencé à s'écrire le 11 janvier. Et voilà qu'ils sont déjà une cinquantaine.
Autre chose, mon recueil Le long des embrasures paraîtra fin avril aux éditions du Cygne que je remercie.)
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Ces mots de Joe Bousquet lus y a 6 ans résonnent dans une actualité routinière sans aucuns changements d'horizon...comme une histoire prémonitoire
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