Comment parler du roman Raymond Mauriac frère de l'autre de Patrick Rödel quand, dès les premières pages, on résiste mal à la tentation d'y voir une autobiographie ?
On y résiste d'autant moins que la photo en couverture, Raymond au garde à vous dans l'ombre écrasante de François, nous semble implacable, presque cruelle.
Et pourtant ! Hormis le fait que Raymond Mauriac a publié deux romans sous pseudonyme (Housilane), tout est presque faux dans cette histoire puisqu'on ne sait quasiment rien de lui.
Patrick Rödel a traqué à la loupe tous les indices possibles dans le fonds Mauriac de la bibliothèque municipale de Bordeaux et inventé le journal que Raymond aurait pu tenir dans le secret de son étude d'avoué. Nul doute aussi que sa connaissance de l'oeuvre de "l'autre", Le mystère Frontenac notamment, aura nourri son inspiration.
Le lecteur découvre la vie de Raymond Mauriac de 1895 à 1953. A quinze ans, il supporte mal le carcan du paraître bourgeois et les hypocrisies des punaises de sacristie. Il rêve de devenir écrivain, envisage de s'inscrire en lettres à l'université. Claire Mauriac, mère à poigne qui élève seule ses cinq enfants, oppose un refus catégorique. Raymond fera son droit et reprendra la charge de l'oncle resté sans descendance. On se doit d'avoir le sens du sacrifice quand on est l'aîné de la fratrie et que le père est mort trop tôt. De toute façon, la littérature, c'est le Diable. A commencer par l'exécrable Anatole France...
Ce vrai faux journal nous montre un velléitaire incapable d'affirmer son identité et ses désirs tant il est lui-même victime des préjugés de son milieu social. Proche des Croix-de-feu du colonel de La Rocque, il honnit la République enjuivée et trouve qu'il y a "de bonnes choses chez Mussolini".
Patrick Rödel parvient cependant à nous faire apprécier ses épanchements quand il se débat avec la gestation infiniment longue, tour à tour naïve et douloureuse de son premier roman salué par Robert Brasillach et Ramon Fernandez. Le lecteur sera également sensible à ses rapports ambigus avec François, l'envie et la suspicion voire la colère l'emportant le plus souvent sur l'admiration...
Le livre se termine par un post-scriptum de plusieurs pages intéressant à consulter tout en progressant dans le récit. On suit Patrick Rödel dans son dépouillement des archives familiales et des ouvrages consacrés à François Mauriac. On s'étonne avec lui que Raymond soit à ce point passé inaperçu aux yeux des biographes alors qu'ils mentionnent volontiers les deux autre frères : Jean le prêtre et Pierre le médecin. Est-ce là un oubli ? Ne serait-ce pas plutôt une répudiation inconsciente ? Et pourquoi ?
Mais c'est ainsi, à la faveur de ce trouble, qu'il peut devenir un personnage à part entière, dans la vérité sans fard de la vie rêvée. Quand le silence retombe sur l'étude où l'ennui tout le long du jour a présidé...
Le livre de Patrick Rödel, servi par une écriture qui ne mâche pas ses mots pour brocarder les petitesses, parfois presque tendre à l'évocation des parties de chasse ou de pêche aux abords des métairies, des émois furtifs des corps qui peinent à s'abandonner est un régal. On finit même par s'attacher à Raymond quand, au soir de sa vie désenchantée, s'annonce le grand naufrage de l'esprit. C'est bien là le signe du talent.
Raymond Mauriac frère de l'autre de Patrick Rödel est publié aux éditions Le Festin et coûte 19, 50 €.
Ces mêmes éditions viennent de republier Individu, premier roman de Raymond Housilane initialement paru chez Grasset en 1934.
image lefestin. (Malagar, Pâques 1930. Raymond et François Mauriac)
Raymond Mauriac frère de l'autre de Patrick Rödel est publié aux éditions Le Festin et coûte 19, 50 €.
Ces mêmes éditions viennent de republier Individu, premier roman de Raymond Housilane initialement paru chez Grasset en 1934.
image lefestin. (Malagar, Pâques 1930. Raymond et François Mauriac)
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