lundi 12 novembre 2018

Estelle Fenzy, Poèmes western


Résultat de recherche d'images pour "Estelle Fenzy Poemes western"Les voyages immobiles portés par la puissance de la langue peuvent transporter le lecteur dans une réalité plus vraie que nature, avec toutes les composantes du symbolique et de l’imaginaire.
Les Poèmes western d’Estelle Fenzy illustrent au mieux cette assertion dès la première prose ajourée du recueil. « Ciel et mer partagent, face à face, les brumes, les bleus, les brasiers. Les espaces à écrire et rêver. »
Le voyage commence à Provincetown dans le Massachusetts, sous la nue des confins, et se termine au large de Klamath* Falls dans l’Oregon, sous un ciel confondu avec l’océan.  
Entre l’est et l’ouest, de paysages en scènes de genre aperçus dans un rétroviseur ou depuis un motel, la route n’a pas de ligne sûre pour le regard. L’étendue est si vaste que des mirages pourraient naître.
Estelle Fenzy a composé son livre à partir des photographies de Bernard Plossu qui a fait le voyage « pour de vrai ». Cette notation de l’artiste, mentionnée en exergue, invite le lecteur à se poser la question du pour de faux, à imaginer comment les territoires de l’un et de l’autre se joignent et se disjoignent, dans un tuilage improbable qui dit toute l’incertitude contenue dans toutes les perceptions.
« Le brouillard recroqueville la terre. Fatigue les couleurs. Gomme les contours. Ment les distances. »
Résultat de recherche d'images pour "herta lebk peintre"Que l’on se trouve à Beetown dans le Wisconsin ou sur la « Route 25, direction El Paso » ou, encore, à Alamogordo (sans doute y eut-il en ce lieu quelque peuplier corpulent), l’infini loge parfois dans un mouchoir de poche, le temps lui-même se trouble et se contracte.
Et c’est ainsi que la silhouette de Kit Carson* traverse à grands pas le voyage. Les bisons à la frontière texane sont un trompe l’œil sur un mur. « Les étoiles ne guident pas les voyageurs du haut du ciel. Elles sont tombées le long des routes. »
Comment éclairent-elles les balafres qui restent des années trente ? Que disent-elles des pompes à essence qui [patientent sous les néons] comme dans un tableau de Hopper ? Si la lune elle-même est « tombée sur la terre ».
Peut-être faut-il poser la question à Susannah Gun en Alabama, quatre-vingt-dix ans au compteur et six balles dans son revolver… Ou au berger violoniste des Marble Mountains…
Une chose est certaine cependant. Le voyage du lecteur ne s’arrête pas au bout du voyage du livre. Et c’est là sa force. Et c’est là notre plaisir.

Extraits :

Le brouillard recroqueville la terre. Fatigue les couleurs. Gomme les contours. Ment les distances.
Les arbres maigrissent. Gerbes d’os. Appelant la chair nouvelle.
C’est là que se mesure l’hiver. Aux pas accomplis jusqu’à eux.
A l’humidité. Entrée dans le corps comme un sommeil.

*

Dans les bars de Los Alamos, les fenêtres ne s’ouvrent jamais.
Elles baissent sur les banquettes leurs paupières qui piquent. Tabac froid.
La nuit est si noire. Le vent miaule si fort.
Posters d’automne canadien collés sur les carreaux paralysés. Flamboyance froissée. Passée.
L’air libre les couleurs vraies n’oseront que par les yeux.

Poèmes western d’Estelle Fenzy est publié aux éditions LansKine avec une photographie de Bernard Plossu en couverture. Il coûte 14 €.

image 1 pollen-difpop.com
image 2 gag galerie Herta Lebk, Visions sur le grand canyon, Le vautour

Klamath : peuplade amérindienne au XIXème siècle
Kit Carson : (1809-1868) trappeur, rancher, guide d'explorateur, officier militaire. Les aventures de Kit Carson ont été portées trois fois à l'écran pendant le vingtième siècle. Des années cinquante aux années quatre-vingt, il a été le héros d'une longue série d'albums de  bande dessinée en noir et blanc.

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