Les
voyages immobiles portés par la puissance de la langue peuvent transporter le
lecteur dans une réalité plus vraie que nature, avec toutes les composantes du
symbolique et de l’imaginaire.
Les
Poèmes western d’Estelle Fenzy
illustrent au mieux cette assertion dès la première prose ajourée du recueil.
« Ciel et mer partagent, face à face, les brumes, les bleus, les brasiers.
Les espaces à écrire et rêver. »
Le
voyage commence à Provincetown dans le Massachusetts, sous la nue des confins,
et se termine au large de Klamath* Falls dans l’Oregon, sous un ciel confondu
avec l’océan.
Entre
l’est et l’ouest, de paysages en scènes de genre aperçus dans un rétroviseur ou
depuis un motel, la route n’a pas de ligne sûre pour le regard. L’étendue est
si vaste que des mirages pourraient naître.
Estelle
Fenzy a composé son livre à partir des photographies de Bernard Plossu qui a
fait le voyage « pour de vrai ». Cette notation de l’artiste,
mentionnée en exergue, invite le lecteur à se poser la question du pour de
faux, à imaginer comment les territoires de l’un et de l’autre se joignent et
se disjoignent, dans un tuilage improbable qui dit toute l’incertitude contenue
dans toutes les perceptions.
« Le
brouillard recroqueville la terre. Fatigue les couleurs. Gomme les contours.
Ment les distances. »
Que
l’on se trouve à Beetown dans le Wisconsin ou sur la « Route 25, direction
El Paso » ou, encore, à Alamogordo (sans doute y eut-il en ce lieu quelque
peuplier corpulent), l’infini loge parfois dans un mouchoir de poche, le temps
lui-même se trouble et se contracte.
Et
c’est ainsi que la silhouette de Kit Carson* traverse à grands pas le voyage. Les
bisons à la frontière texane sont un trompe l’œil sur un mur. « Les
étoiles ne guident pas les voyageurs du haut du ciel. Elles sont tombées le
long des routes. »
Comment
éclairent-elles les balafres qui restent des années trente ? Que
disent-elles des pompes à essence qui [patientent sous les néons] comme dans un
tableau de Hopper ? Si la lune elle-même est « tombée sur la
terre ».
Peut-être
faut-il poser la question à Susannah Gun en Alabama, quatre-vingt-dix ans au
compteur et six balles dans son revolver… Ou au berger violoniste des Marble
Mountains…
Une
chose est certaine cependant. Le voyage du lecteur ne s’arrête pas au bout du
voyage du livre. Et c’est là sa force. Et c’est là notre plaisir.
Extraits :
Le
brouillard recroqueville la terre. Fatigue les couleurs. Gomme les contours.
Ment les distances.
Les
arbres maigrissent. Gerbes d’os. Appelant la chair nouvelle.
C’est
là que se mesure l’hiver. Aux pas accomplis jusqu’à eux.
A
l’humidité. Entrée dans le corps comme un sommeil.
*
Dans
les bars de Los Alamos, les fenêtres ne s’ouvrent jamais.
Elles
baissent sur les banquettes leurs paupières qui piquent. Tabac froid.
La
nuit est si noire. Le vent miaule si fort.
Posters
d’automne canadien collés sur les carreaux paralysés. Flamboyance froissée.
Passée.
L’air
libre les couleurs vraies n’oseront que par les yeux.
Poèmes western
d’Estelle Fenzy est publié aux éditions LansKine avec une photographie de
Bernard Plossu en couverture. Il coûte 14 €.
image 1 pollen-difpop.com
image 2 gag galerie Herta Lebk, Visions sur le grand canyon, Le vautour
Klamath : peuplade amérindienne au XIXème siècle
Kit Carson : (1809-1868) trappeur, rancher, guide d'explorateur, officier militaire. Les aventures de Kit Carson ont été portées trois fois à l'écran pendant le vingtième siècle. Des années cinquante aux années quatre-vingt, il a été le héros d'une longue série d'albums de bande dessinée en noir et blanc.
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Klamath : peuplade amérindienne au XIXème siècle
Kit Carson : (1809-1868) trappeur, rancher, guide d'explorateur, officier militaire. Les aventures de Kit Carson ont été portées trois fois à l'écran pendant le vingtième siècle. Des années cinquante aux années quatre-vingt, il a été le héros d'une longue série d'albums de bande dessinée en noir et blanc.
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