dimanche 10 février 2019

Radicelles, Murièle Modély et Vincent Motard-Avargues

Résultat de recherche d'images pour "Muriele Modély radicelles"Le ton est donné dès les premiers vers. L'enfance n'est qu'un rêve éculé de paradis sans mémoire. La naissance accouche d'une "chose" qui va déjà de travers "sur un matelas sale.

Murièle Modély poursuit avec Radicelles l'état des lieux du corps et de la langue qui marque sa poésie depuis Penser maillée. Le corps animal de l'humain et le corps végétal de l'arbre. Le corps au ventre volcanique de l'île "fantasmée" sous "le ciel bas".
Mais c'est ici que vit l'auteure, un ici impossible à féconder. Dans une langue, entre créole et français, qui "s'emmêle comme une suie sur la crête des vagues". Des racines, des radicelles, des greffons et des coques de fruit sec s'enchevêtrent sous la peau "où desquame la mémoire", sous l'écorce en lambeaux. La "chose" parle en hoquetant. La joie elle-même est une morsure qui avorte l'histoire.
Une fois encore, Murièle Modély pétrifie le lecteur par la violence de ses évocations. Des images de l'univers viscéral de Louise Bourgeois pourraient lui traverser l'esprit et achever sa suffocation sous le rouge tremblant des flamboyants.

Résultat de recherche d'images pour "vincent motard avargues"En contre écho comme un manifeste froid, les photographies de Vincent Motard-Avargues s'immergent au coeur de la matière. Dans un va-et-vient du net au flou, elles suggèrent l'empêchement à désigner le visible. Seules trames et fibres, naturelles ou artificielles, témoignent de traces que l'oeil traduit sur l'établi du récit.
Mais pour dire quoi du vivant qui se délite inexorablement ? 

Le lecteur se fera son chemin dans ce jeu de miroirs qui trouble l'ici et l'ailleurs et c'est ainsi que ce recueil saura longtemps le retenir.

Extraits :

tu ne te souviens pas de ce temps disparu
ce paradis perdu
que certains nomment enfance
tu ne l'as jamais vu
tu ne te souviens pas de cette odeur de sang
qui te raconte le récit
dans lequel ta mère écarte les jambes
sur un matelas sale
où tu glisses bancale
chose déjà adulte
sur le sol d'une maison secrète

*

on te dit choisis
choisis ton camp, ta frontière, ton pays
raye tout le reste, choisis
pas de place pour à moitié, à demi, choisis
gratte, arrache, la chair, la peau
il ne restera rien qu'un peu de rouille sur la photo
souvenir d'un temps, d'une illusoire
unicité, unité, raye, syllabes, lettres
choisis
une langue, sans maux propre et nette
et tant pis pour l'accroc
ton dessin d'île
possible
commune
sur le cahier tout au fond de la salle

Radicelles de Murièle Modély et Vincent Motard-Avargues est publié aux éditions Tarmac et coûte 18 euros (prix justifié par l'excellence des tirages photographiques).

image twitter.com
image PE26 Vincent Motard-Avargues google.com


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