Comment
ne pas penser, en lisant Une mélancolie
optimiste (Una melancolía optimista) de Luis García Montero, à ce
que disait Victor Hugo de cet état d’âme si particulier : « La
mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » ?
Dans
ce choix de quarante poèmes qui jalonnent un tiers de siècle d’écriture, de l’âge
presque tendre encore à celui de la maturité assumée, la tristesse n’est jamais
subie. L’optimisme est ici une volonté au fil du quotidien que le poète
transfigure au cœur même de la langue. « Poésie
de l’expérience, elle ne renie rien, elle veut construire, ne jamais renoncer à
l’espoir. », observe Françoise Dubosquet Lairys à la fin de cette édition
bilingue dont elle est la traductrice.
Luis
García Montero met sur le même plan les gestes les plus ordinaires et les
pensées les plus travaillées par le simple fait de vivre. Ainsi en est-il de
cet anonyme qui se douche puis choisit une chemise dans son armoire, [gardant
raison pour préserver sa peau les jours de pluie et au cœur de l’hiver].
Le
poème alors devient fable, teintée parfois de petites ironies qui disent la
lucidité du regard porté sur le monde. Un regard de philosophe qui va et vient
de la douceur à l’amertume. « La tristesse de la mer tient dans un verre d’eau »,
note l’auteur dans l’un de ses titres. Peut-être faut-il aussi voir là une
invitation à l’action. Les « occasions perdues » ne le sont jamais
totalement.
Luis
García Montero est un homme engagé à hauteur d’homme dans son époque. Ses
poèmes Démocratie et Défense de la politique donnent un corps
amoureux aux idées qu’on cherche toujours à abattre. Ils évoquent le souvenir du passé
comme « un mot neuf » malgré les inquiétudes du futur. « Car est
venu le temps joyeux des noms purs. »
Notons
enfin la grande qualité de la traduction qui reste fidèle à l’esprit de cette
poésie généreuse. Françoise Dubosquet Lairys a réussi son compagnonnage. En
français comme en espagnol, la mélancolie garde la tête haute et c’est ainsi
que nous l’aimons.
Extraits :
Los
idiomas persiguen el desorden que soy,
y
así los predicados de altas temperaturas
y
los verbos de nieve
me
tratan sin piedad
igual
que a los sujetos derretidos.
No
me resulta fácil,
pero a veces
entiendo
la
nostalgia de orden que tienen mis poemas.
Les
langues poursuivent le désordre que je suis,
et
c’est ainsi que les attributs de hautes températures
et
les verbes de neige
me
traitent sans pitié
comme
ils traitent les sujets fondus.
Ce
n’est pas simple pour moi,
mais parfois je
comprends
la
nostalgie de l’ordre qu’ont mes poèmes.
*
Bombillas
contra
un cielo sin fondo,
pintura
de las mesas
más
pobre y sin verano,
botellas
dejadas sin un solo mensaje
y
la radio sonando
con
voz de plata
como los álamos del río.
Antes
que los humanos
los
objetos aprenden a vivir en otoño.
Hasta
un golpe de lluvia.
Ampoules
contre
un ciel sans fond,
peintures
des tables
plus
pauvre et sans été,
bouteilles
oubliées sans un seul message
et
la radio qui résonne
d’une
voix d’argent
comme
les peupliers du fleuve.
Avant
les humains,
les
objets apprennent à vivre en automne.
Jusqu’à
l’averse.
Une mélancolie optimiste
de Luis García Montero est publiée aux éditions Al Manar et coûte 22 € (prix
justifié).
image 1 librest.com
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