Regain du sang d'Emmanuel Damon est un recueil de poésie composé de neuf ensembles. Des proses de forme classique alternent avec des poèmes allant de cinq vers à trois pages, d'une facture plus contemporaine.
Le titre générique est extrait du premier ensemble Avant boire. Il sécrète de subtiles résonances entre ombres et lumières ("L'obscur de la chambre n'oublie rien du ciel") avec le regain du monde où [on s'enchante d'une éclaircie].
Ce recueil est empreint tout du long d'une mystique inaugurale "d'avant naître", revisitée sur les chemins de la soif et de la faim. Les éléments premiers qui constituent le monde, sans cesse à l'épreuve de la langue peu sûre, fécondent le regain de l'être en son désir de gaieté puis de joie. Il s'agit d'une quête exigeante où intériorité et extériorité travaillent voire fatiguent les failles de l'écriture. "Nous avons perdu le sens de nos phrases", écrit Emmanuel Damon dès son premier texte. Plus loin, [notre langue immobile éteint les mots dans nos gorges]. "Esseulée" ou non, traversée de lassitudes ontologiques, elle n'en fait pas moins mouvement vers les paysages dans tous ses états, ceux d'ici ou de l'autre côté des mers, à l'ombre de "bois-mourir".
Les clameurs minérales du sable et de l'argile, du charbon et du granit, tour à tour fragiles et puissantes, disent avec la "clameur végétale" de l'orge ou du peuplier la patience venue de l'impatience, la tentation de l'ascétisme après la prodigalité.
L'écriture d'Emmanuel Damon, en ses longs déplis comme en ses pointes sèches, fait parfois écho au symbolisme élémentaire de Saint-John Perse, avec des accents oratoires. Quelles prières seront finalement exaucées dans le tumulte des saisons ? Les mots en garderont-ils seulement le moindre souvenir ?
Extraits :
Non pas l'orage
Mais ce feulement dans l'air
Qui tinte et sonne sur les tuiles
Rien qu'on ignore quand le ciel prend souffle
Et d'un coup dont l'écho dans les sapins s'embrase
N'est plus que pluie cette eau chantée
Qui porte joie au sol amer aux ronces
A la route plus sombre
Aux flaques sevrées de boire
Le merle la mésange dans le bois de lauriers
Où denses les feuilles sont un toit de passage
Rendent grâce au ciel brisé vivant soudain
De n'être plus acier éblouissement
Poussière
*
Quand la faim brûle
Sans autre charbon que le feu ce sang tari
On ne sait où commence le silence de quel bois
Est cette étreinte qui saisit les os et nous tient
Sans vêtement sans armes sous le linteau de chêne pur
Tandis que l'horizon s'accroît
*
Eparpille la tempête, glane le fer au-dedans et la soie des livres, et la soie du ventre pour parler bas aux saisons : ta patience sera merveilleuse. Ailleurs les mots tarissent, la mer est immobile, le vent ne tinte que de paroles anciennes. On laissera le garde-manger ouvert, fenêtre de pain chaud pour le jour qui tarde à donner sa mesure.
Regain du sang d'Emmanuel Damon est publié aux éditions Al Manar avec des gravures signées Hubert Damon. Son prix de 19 € est justifié par la belle qualité de l'ouvrage.
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