vendredi 28 janvier 2022

L'homme est un déchet

Le désir de possession et la volonté de puissance sont inhérents à l'humain depuis ses commencements. Il faut rappeler ce truisme à la lumière bien sombre du livre Les fossoyeurs publié par Victor Castanet aux éditions Fayard sur la voracité du groupe ORPEA, leader mondial des maisons de retraite.

Amusons-nous à remonter le temps :

Age de la pierre taillée. Un individu possède deux silex. Son voisin en possède le double. Il est plus fort face à l'adversité. Il désire davantage pour devenir encore plus fort. Et ce désir devient une volonté de puissance qui lui permettra de contrôler son environnement. Pour déjouer les pièges de la dite adversité, laquelle pourrait émaner aussi de l'individu qui n'a que deux silex puisqu'il a le même désir que son voisin : devenir plus fort. Plus puissant.

Age de la pierre polie. Le scénario est le même mais doit être considéré à l'aune du progrès technologique qui permet la fabrication en série d'outils plus divers. Le travail, plus organisé, plus systématisé, devient une valeur ajoutée, fonctionnellement et moralement. Le désir de possession et la volonté de puissance prennent de l'ampleur dans les représentation symboliques.

Age de l'agriculture. L'homme devient sédentaire et commence à construire un habitat durable. C'est l'ère de l'appropriation physique du territoire. Un individu possède un champ. Son voisin en possède le double. Ses récoltes sont meilleures et lui permettent de se lancer dans l'élevage. Autant de possessions qui l'élèvent dans la hiérarchie des représentations. Et s'il triple le nombre de ses champs, sa puissance immanente sera incontestable, se transformera qui sait en puissance transcendante.

Age de la monnaie. Elle constitue une accélération dans la vitesse et le nombre des échanges et renforce le désir de possession. Ces échanges concernent les produits manufacturés de plus en plus nombreux mais aussi les portions de territoire et les services liés à la connaissance (le soin par exemple, le droit coutumier...). La volonté de puissance n'a plus de limite. Elle s'enracine dans les représentations politiques de la domination.

Age du libéralisme. Quelques millénaires se sont écoulés. Des empires ont prospéré jusqu'à leur point de disparition, victimes de leurs espaces démesurés devenus incontrôlables. Des guerres, lancées par des puissants qui ne se sont jamais battus, (clin d'oeil à Chateaubriand) ont semé d'irréparables désolations jusque dans la mémoire des peuples. En Angleterre, des philosophes, des mathématiciens, tiraillés de hue à dia entre rationalité et métaphysique, ont théorisé le libéralisme économique et politique. Il connaîtra au dix-neuvième siècle une ampleur sans pareille puis prétendra accéder au rang de science exacte, mathématiquement logique avec un langage expurgé de toute subjectivité. (Voir le brillant essai de Barbara Stiegler, Il faut s'adapter, aux éditions Gallimard.)

Nous en sommes toujours là et même au-delà. La grammaire des puissants, désormais algorithmique, exploite plus que jamais le corps humain. Et notamment celui des enfants qui fabriquent des vêtements dont les invendus pourrissent parfois dans quelque désert en Amérique du Sud... Le pape François, que personne ne soupçonnera d'être un gauchiste à la mode, a déclaré que pour le capitalisme l'homme est un déchet. Aux Etats-Unis, une société a caressé l'idée de transformer les corps des défunts en compost. Chimère ou bientôt réalité ?

Et comment s'en saisir ? Avec quelle volonté de s'en saisir pour arrêter le massacre ? A juste titre, l'opinion publique et les médias de toute tendance s'émeuvent des révélations de Victor Castanet. On larmoie. On vitupère si on a des convictions qu'on imagine de gauche. On se justifie aussi : On savait pas, on croyait pas que c'était à ce point.

Alors qu'il suffit d'ouvrir les yeux dans la banalité même. La circulation automobile l'illustre bien. Un gros 4X4 de marque allemande talonne une petite cacugne qui ne va pas assez vite. Appels de phare. Coups de klaxon si la situation dure. C'est là l'expression de la puissance intermédiaire. Elle n'est pas forcément prédatrice. Elle larmoie aussi à l'occasion. On n'a pas voulu ça, dit-elle. On. On. Mais si elle était certaine de ne pas esquinter sa jolie carrosserie, combien de temps résisterait-elle à l'envie d'envoyer la cacugne se promener dans le décor ?

Et c'est ainsi que l'homme il est pas bon, dirait Reiser en crachant par terre. Et même trop souvent dégueulasse...


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