Le silence et l'absence reviennent souvent sous la plume de Derek Munn dans son recueil Please. Pour dire(ou non dire), souvent avec humour, ce qui boite dans les couleurs incertaines du monde, ce qui grince dans les solitudes. Les mots eux-mêmes vont de travers, [si vulnérables pour imaginer un courage...d'une nuit de tempête quand le loup rôde...]. Ou "ne se posent aucune question car il n'y a pas de question l'amour est une cartouche vide...]
Derek Munn sait se tenir un peu gai à la manière de Montaigne, sans affectation, dans sa marche claudicante où le noir, comme à la roulette, n'est pas toujours gagnant. "la tristesse je l'ai mise dans un sac / au fond du congélateur / comme ça elle est oubliée / mais pas trop".
Please, ensemble de textes épars, est peut-être un exercice de lucidité sur les parts du vrai et du faux dans la perception des phénomènes. "c'est seulement devant nos portes qu'on se rend compte du vide aux épaules qui nous empêchera de les ouvrir". Derek Munn se confronte à toute la matière, vivante et inerte, élémentaire ( des oiseaux et des arbres, des corps et des mains, des meubles déplacés, des parquets endormis, des chemins qui ne sont pas toujours de fer, des ascenseurs chimériques, des ciels et des nuages, ceux que Baudelaire trouvait si merveilleux).
En écho à cette étendue floue, forcément floue, énigmatique comme "ce caillou enrobé de la main chocolatée d'un enfant", le poète s'adonne, un rien narquois, à quelque philosophie au sujet du temps. Est-il vraiment "la poussière d'un avenir passé sans jamais être présent" ? Ou bien [le présent n'est-il qu'un passé qui dure] ?
Comment savoir vraiment tout ça, qui embrouille et fait bégayer la pensée ? C'est peut-être, encore une affaire de mots, voire d'un seul, qui fait défaut dans le silence de l'absence. Et Derek Munn referme ainsi son livre des questions : " tu vois ce que je veux dire / il me manque souvent / si tu le trouves / tu me le diras n'est-ce pas".
Lisez et relisez ce livre d'impressions humbles où s'impose aussi, en quelques détours, l'absolue nécessité de l'autre, que l'amour ait ou non quelque chose à raconter.
Extrait :
d'un coup je vois tout en sépia
assimilé à ma propre absence je glisse
d'entre mes propres mains
vieille photo vue de l'intérieur
feuille libre d'un cahier défait
image pierre lisse confusion rassurante
temps devenu incolore air coagulé
me baisser afin de me ramasser
ne serait-ce un compromis de trop
je ne bouge plus au coeur de mon agitation
ne réclame rien à mon reflet vide
seulement l'égalité
Please, de Derek Munn, est publié aux éditions Aux cailloux des chemins dans la collection Nuits indormies. Il coûte 12 €.
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