L'expression "toucher la terre ferme" évoque, rappelons-le, la fin d'une traversée au long cours, plus souvent houleuse que paisible, en bateau ou en avion. Elle est aussi le titre du dernier livre de Julia Kerninon.
Cette jeune auteure nous fait part de ses multiples traversées depuis qu'elle est née. Une naissance si difficile que son père a encore une boule dans la gorge quand il en parle. Lorsque un enfant met autant de temps à paraître au monde, des attachements insécures se nouent. Comment s'en défaire ? Où se trouve la bonne distance pour quitter l'étouffoir et prendre le large ?
"J'ai fui et fui et fui, je n'étais jamais là, je voulais seulement être seule, et travailler, poursuivre mon bonheur dans les livres, ne plus me demander si les gens me comprenaient, être hors de portée de mes parents."
Julia Kerninon a réussi sa fuite dans la résolution de ses désirs. Celui de parler d'autres langues que celle de sa mère, de lire les livres les plus ardents, de consumer son corps sous les mains rêches des amants, d'écrire partout, dans une chambre d'hôtel à l'autre bout du monde ou, désormais, avec son bébé dans les bras et un verre de vin aux lèvres.
D'aventures en aventures jusqu'aux Etats-Unis en passant par l'Europe centrale, Julia Kerninon a fini par poser son sac lourd de fatigues dans un appartement parisien. On ne dira jamais assez les vertiges du hasard qui mènent aux vertiges de l'amour. Comment y croire ? "Dans les premiers jours de cette histoire, j'ai beaucoup douté de lui, parce que ça paraissait trop facile", écrit-elle en se souvenant des mots de Faulkner : "La valeur de l'amour est la somme de ce qu'il faut payer pour l'obtenir..."
Les dix pages (61-71) que Julia Kerninon adresse à l'homme qui partage sa vie sont bouleversantes de tendresse dans l'expression de la banalité la plus ordinaire, sans laquelle aucun ancrage ne peut tenir longtemps. La terre ferme est bien là. Sans cesse à recomposer. Trop calme parfois mais "c'est cette vie qui est un voyage, cette conversation commencée il y a huit ans qui est notre grande aventure..."
En revanche, devenir mère puis le demeurer ne va pas de soi. La terre ferme se fait terrain glissant vers les souvenirs qu'on ravaude. Il n'existe pas de "tabula rasa" qui ouvrirait facilement le passage. Julia Kerninon décrit sans fioritures son deuxième accouchement. Avec des notations pré et post-mortem qui feraient le miel des psychanalystes. Celles-ci par exemple : "Moi qui m'étais toujours pensée solide, je me découvrais brutalement si fragile, comme si j'étais redevenue petite fille et que je devais grandir une nouvelle fois, retraverser toute ma vie pour arriver là." "Je croyais aussi que cette autre personne que je deviendrais serait naturellement douée pour tout ce qui s'annoncerait, et que ce serait elle qui s'occuperait de tout ça. Peut-être qu'inconsciemment, je pensais que ma mère s'en occuperait, ou bien que je deviendrais ma mère."
Toucher la terre ferme de Julia Kerninon, récit autobiographique au style parfois déroulé comme un long riff de guitare électrique, obstiné forcément obstiné, est publié aux éditions L'Iconoclaste. Il coûte 15 €.
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