vendredi 4 novembre 2022

La barque dans l'arbre, N° 6


 Découvrir une revue littéraire de haute tenue est toujours un enchantement. Mitonnée à Rennes par Olivier Gallon, la sixième livraison de La barque dans l'arbre, comme les précédentes, accorde une large part à la poésie étrangère d'hier et d'aujourd'hui.

Elle s'ouvre sur deux quatrains métaphysiques du poète russe Vladimir Soloviov qui entretint avec Dostoïevski une longue correspondance. "La corde de l'âme ne peut vibrer" quand la mémoire incomplète change tout en apparences. Qu'en est-il alors de la résurrection ?
Daniil Harms, assassiné dans les abattoirs de Staline en 1942 à l'âge de 36 ans, clôt la revue avec des mini contes apparemment drôles où le corps est à la question. Comment vivre avec lui s'il crache du noir dans une tasse d'eau ou s'il gît, translucide, sur un lit de douleur ? 

D'une rive à l'autre, La barque dans l'arbre nous conduit au Japon avec le journal de l'été et saisons d'Asabuki Ryôji. Cet admirateur d'André Breton éprouve dans sa prose au style gigogne le pessimisme du vide qui menace. La catastrophe de Fukushima en 2011 est peut-être là un souvenir enrayé où même "les vapeurs qui s'écoulent de la baignoire" deviennent des tsunamis.

Dans ses Chansons des mers du Sud, Mariano Rolando Andrade (né à Buenos Aires en 1973) arpente Jakarta aux "nerfs altérés" et appelle à la résistance les desdichados de Rotorua en Nouvelle-Zélande.

Parmi d'autres auteurs étrangers, notons également les premiers textes parus en français du Polonais Michal Sobol. Le ton est ici plus apaisé nonobstant une sourde inquiétude existentielle. "Certains ne percevront pas où court la frontière entre le tribunal et le salon de coiffure-possible qu'elle ne coure du tout.", observe-t-il à la manière de Kafka troublé par la confusion des espaces.

Quelques auteurs français font aussi partie du voyage. Dans Nicholas Ray poème, Jacques Sicard revisite la filmographie du cinéaste, (Les amants de la Nuit, Le Violent, La Maison dans l'Ombre), et s'adresse directement à lui, un rien désabusé : "On peut avoir le sens du temps et pas celui de la vie humaine. Est-ce là vivre dans le mythe ? ... On ne m'écoutera pas. Toi non plus, Ray, personne ne fera attention  à ce que tu racontes. Qu'est-ce que tu crois."

Extraits :

le journal de l'été
j'en feuillette les pages
mes doigts se revêtent du parfum des jacinthes
qui s'y entortille et c'est toujours la même page de l'éphéméride que je retire 
et d'un même sentier et d'un même ombrage qui conduisent au même souvenir ces
jacinthes dont tu dis qu'elles sont des fleurs à honnir et ton pas est incertain et pourtant tu fredonnes une chanson sous les rayons du soleil qui filtrent à travers les frondaisons une chanson légère et pourtant quelque peu chagrine et pourtant quelque peu mélancolique... (Asabuki Ryôji)

*

Dans la foule du dernier métro
celui qui marche à l'envers sous les voûtes
sera toujours le fils du fils
la main en avant comme s'il grimpait
pour se délivrer de son image

comme si l'unité des coeurs
devait se multiplier dans les vitres
pour avoir le droit d'exister
puisque le plus mauvais poète
est toujours le premier venu (Dominique Grandmont)

*

on entend des ah des oh des hé
feutrés étouffés
des heures identiques sonner
on entr'aperçoit le sol où peu à peu
seules vivantes les ombres prennent place
ces heures qui changent la face des choses
la pleine obscurité est encombrée des cahots
de tout ce qui bouge en vous
de tout ce qui bouge sans vous (Philippe Di Meo)

*

Ta bouche s'est complu dans ton discours à autrui,
mais tu ne voyais que tes yeux bleus
et tes cheveux comme les blés :
tu nous as aussi imposé ta beauté.

Mais tu ne peux plus revenir en arrière, tu t'es vidé
sur la tête la corne d'abondance du monde.
Et voici que ta volonté se fait de moins en moins ferme,
dans ta volonté rampent de petits asticots.
Tes bottes glisseront poisseuses de sang.

Attila,
là où tu passes
fleurissent les morts pour te combattre.
Remember Vietnam.
                                    Remember. (José Carlos Becerra)

La barque dans l'arbre est disponible sur commande dans les librairies ou sur son site : https://labarque.fr/
Laissez-vous embarquer, vous ne le regretterez pas.
Elle coûte 16 €.


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