samedi 5 novembre 2022

William Faulkner, Sanctuaire (incipit)


 " Caché derrière l'écran des broussailles qui entouraient la source, Popeye regardait l'homme boire. Un vague sentier venant de la route aboutissait à la source. Popeye avait vu l'homme, un grand sec, tête nue, en pantalon de flanelle grise fatigué, sa veste de tweed sur le bras, déboucher du sentier et s'agenouiller pour boire à la source.
La source jaillissait à la racine d'un hêtre et s'écoulait sur un fond de sable tout ridé par l'empreinte des remous. Tout autour s'était développée une épaisse végétation de roseaux et de ronces, de cyprès et de gommiers, à travers lesquels les rayons d'un soleil invisible ne parvenaient que divisés et diffus. Quelque part, caché, mystérieux, et pourtant tout proche, un oiseau lança trois notes, puis se tut. 
A la source l'homme buvait, son visage affleurant le reflet brisé et multiplié de son geste. Lorsqu'il se releva, il découvrit au milieu de son propre reflet, sans avoir pour cela entendu aucun bruit, l'image déformée du canotier de Popeye.
En face de lui, de l'autre côté de la source, il aperçut une espèce de gringalet, les mains dans les poches de son veston, une cigarette pendant sur son menton. Son complet était noir : veston cintré à taille haute, pantalon au repli encroûté de boue tombant sur des chaussures crottées. Son visage au teint étrange, exsangue, semblait vu à la lumière électrique. Sur ce fond de silence et de soleil, avec son canotier sur le coin de l'oeil et ses mains sur les hanches, il avait la méchante minceur de l'étain embouti.
Derrière lui, l'oiseau chanta de nouveau, trois mesures monotones, constamment répétées : un chant à la fois dépourvu de sens et profond, qui s'éleva du silence plein de soupirs et de paix dans lequel le lieu semblait s'isoler, et d'où surgit, l'instant d'après, le bruit d'une automobile qui passa sur la route et mourut dans le lointain."

Voilà un roman bien noir dans les bas-fonds de l'homme ravalé au rang de la bête. La jeune Temple s'en sortira vivante mais à tout jamais rompue. Popeye, monstre pathologique depuis l'enfance, connaîtra une fin tragique. Les trilles de l'oiseau n'y changeront rien. Le glas du mal n'en finira jamais de sonner.

Ce roman de Faulkner est à rapprocher de L'intrus, dans la description des foules menaçantes notamment, autour du tribunal et de la prison du comté. Et dans l'impuissance du bien à triompher de l'épouvante.

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