la terre déblayée faisait autour de la fosse
un petit rempart pour les petites bêtes
il y avait des vers et des cloportes
des araignées rondes comme des cloques
et un scolopendre empêtré
des enfants les regardaient se débattre
cependant que les mères trop nerveuses
mordillaient le filtre de leur cigarette
le fourgon funéraire allait arriver
mais le temps pesait lourd sur les poitrines
même le ciel papier mâché était bas
il aurait fallu une brassée d'oiseaux
pour alléger le décor et les pensées
je me suis assis sur une tombe à l'écart
et j'ai regardé le bout de mes chaussures
en écoutant les apartés des filles
une disait que l'emplacement était bien choisi
il y avait un arbre qui ferait de l'ombre l'été
et un robinet pour changer l'eau des fleurs
une autre disait que la cérémonie avait été rapide
on ne prenait plus le temps de rien
y compris quand on passe
un peu plus loin des beaux-frères racontaient
des bêtises le poing devant leur bouche
et enfin le ronron du fourgon
c'en serait bientôt fini
on tournerait la page de l'événement
on ouvrirait celle des souvenirs
à retoucher le soir après boire
ils piqueraient les yeux en riotant
quelqu'un d'à part rimailleur à ses heures
ou gratouilleur de guitare le dimanche
hocherait du chef comme les chiens
en plastique à l'arrière des voitures
et dirait inspiré mezza voce
la morte est bien vivante
quatre individus ont surgi du néant
avec des jeux de cordes aussitôt dépliés
autour du cercueil qui tanguait vacillait
furtif esquif et nos nerfs à vif
allait-il choir direct dans le trou
quand il fallait y glisser sans à-coups
nous sommes restés cois souffle court
le peuple de la terre aussi s'était figé
laissant les oiseaux interdits dans les hauteurs
arrêt sur image et silence
le poids du monde tout entier là
lesté de mes enfances inventées
avec les cris de l'araignée et du scolopendre
et ça durait durait
le cercueil toujours suspendu
entre deux mondes irrésolus
de quel côté la vie
de quel côté la mort
il n'y avait pas d'entre-deux où se tenir
à moins que de rêver fort sans queue ni tête
pour ne pas perdre l'équilibre
les mots sont de piètres funambules
le fil de l'absolu manque d'épaisseur
gare au gadin dans le ravin
les cordes du cercueil ne sont pas moins fragiles
quand elles se frottent aux noeuds du bois
puis le film a repris du mouvement
l'enfouissement a eu lieu avec des éboulis
de schiste et de mica on a vu des étoiles
la morte enfin avait des éclaireuses
elle ne se tromperait plus de chemin
si tant est qu'il y en ait un dans le ciel filandreux
un frisson a coulé sur nos échines
et je l'ai vu s'enfuir vers les allées voisines
lézardeau affolé
[fff] [fff] disait l'écho des douleurs
[frrr] [frrr] répondait l'écho des pelles
qui rebouchaient déjà le trou
il y avait hâte le soir allait tomber
les enfants voulaient manger du chocolat
pourquoi cette envie-là à ce moment-là
que j'ai eue moi aussi
ma fatigue n'en pouvait plus dans mes jambes
trop de fantômes au mètre carré
et de lettres effacées sur les marbres dédorés
trop de vases sans fleurs et couchés
de souvenirs qui ne verraient jamais le jour
mais le rituel nous demandait encore
l'ordre du monde en dépendait
dans le vide comme dans le plein
dans les lignes ouvertes comme dans les lignes fermées
dans le clair comme dans l'obscur
les lumières et les ombres se filant le train
j'ai ramassé une pincée de terre
celle de la morte qui avait toujours vécu
dans ces parages de coteaux et de marais
les mêmes qui m'ont vu essayer de grandir
à trente portées de là
et se sont faufilés entre mes doigts
des microns de poussière
mon corps s'est penché mes vertèbres ont craqué
les suies dans la mémoire m'ont raidi
et j'aurais pu tomber avec la morte
mes lèvres écrasées sur les lèvres de la croix
dont le bronze déjà disparaissait
sous les pelletées du remblai
le dos vert bouteille m'a retenu au bord du trou
et nos mains se sont serrées
avant de céder la place au suivant
la fin du film ne pouvait plus attendre
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