dimanche 13 août 2023

L'église penchait sous le poids des fatigues

 

L'église penchait sous le poids des fatigues

Et les saints de plâtre piquaient du nez

La morte est entrée sur un chariot

Dont les roues mal huilées

Jouaient un mauvais air

Les fleurs avaient autour du cercueil

Des tremblements de vieux malades

La famille suivait qui était sans visage

Les larmes avaient séché au fond des yeux

Le chagrin prendrait du temps

Pour taveler les regards

Et je suivais aussi à petits pas

Mes mains ne savaient où se mettre

Un jeune prêtre aux cheveux jaunes

Nous a menés à nos bancs culottés de sueurs

Et je me suis demandé ce qu'était ce nous

Une madone dans sa niche a froncé les sourcils

Un angelot sur un tableautin a roté

Ce n'était pas le moment ce n'était pas le lieu

Des philosophies à tiroirs et sans fond

Alors j'ai regardé les dos devant moi

Apprêtés à l'hommage pour la morte

Je les ai imaginés nus et parlants

Les frissons disent bien les joies minuscules

Quand la vie se porte vers la vie

Et envoie promener les embarras

Mais le prêtre a interrompu mes fantaisies

Avec une chanson populaire

Sur un tourne-disque des années soixante

Et ça grésillait dans mes oreilles

Puis après une première prière

Dont le son lui aussi était peu sûr

Dans la lumière froide qui tombait des vitraux

L'existence de la morte a été passée au ripolin

Epouse dévouée mère dévouée

Voisine dévouée chrétienne dévouée

Dévouement sur la terre et dévotion pour le ciel

Quelques idioties me sont venues

Comme dans un roman de Marcel Aymé

Le christ descendait de la voûte en rappel

Et des nuées de putti voletaient à ses entours

Cependant que montait depuis les dalles

L'odeur d'aisselle de la sainteté

Un éternuement dans une stalle

Où n'allaient plus que des égarés

A coupé court à mes sottises

J'ai écouté les paraboles de l'homélie

Qui parlaient de l'amour et des astres

J'ai entendu le mot faute

J'ai entendu le mot oubli

J'ai entendu le mot pardon

On aurait dit le mouvement déréglé

D'un jeu de billes ayant trop servi

Le boulard de la faute bardé de rouille

Faisait tout un charivari sous les crânes

Le pardon en plastique n'était pas de taille

Et s'épuisait dans son grand combat

Avec l'oubli qui refusait l'oubli

Puis on s'est levés pour un dernier signe

Devant le cercueil où les fleurs ne tremblaient plus

Le prêtre a recausé de l'amour et des astres

Ses cheveux jaunes ressemblaient à un soleil

Au milieu d'un champ de bataille

Et j'ai souri sans perdre de vue le dos

Qui me précédait en trottinant

C'était un dos tendu de vert bouteille

Avec deux ou trois plis verticaux

Parfaitement repassés et tranquilles

Rien de fâcheux ne pouvait m'arriver

Il n'y avait pas de raisons non vraiment aucune

Où les aurait-on trouvées

La famille cheminait vers la morte

Dans la paix cotonneuse de l'encens

L'angelot du tableautin a joué du flageolet

Et la musique était jolie

Quand ma main a touché le cercueil

Les astres de l'amour

N'ont pas viré au calembour

Un peu de froid m'a saisi la gorge

Une rose a pâli dans sa gerbe

Je me suis dépêché de rattraper

Le dos vert bouteille

3 commentaires:

  1. Une promenade en campagne, un souvenir que l'on suit avec bonheur. Lau Lag

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  2. Puisqu'il n'y a plus rien à attendre
    du combat des heures et de la vie,
    on récapitule les heures perdues
    de la bataille  quand on a fait son temps:
    il n'y aura ni vainqueur ni vaincu
    ( comme ça tout le monde est content).

    L'heure a sonné
    ( bien avant les cloches de l'église),
    et celui qui monte en tribune
    énonce d'un ton contrit
    les paroles apprises,
    tirées de la soutane
    et du missel.

    On dira faute, pardon, oubli
    et autres sentences
    dans les fumées d'encens :
    que dire de plus ?
    Qu'il est des nôtres ?
    Qu'il a vécu comme les autres,
    et qu'il était bien gentil...
    on ne va pas traiter de flemmard
    notre bon apôtre
    en ce moment tragique
    où il repose sous un lit de roses.

    Les angelots se marrent
    et de la statue de plâtre
    un sourire oblique,
    pendant qu'elle désigne la sortie...

    Le prêtre ayant accompli sa mission
    des plus catholiques,
    on peut donner cours à son émotion
    emporter le catafalque
    pour clore l'oraison.

    C'est que d'autres familles
    attendent devant la porte :
    à chacun son tour,
    à chacun sa morte,
    chacun ses malheurs,
    Dieu est un grand organisateur ! .

    Pas d'embouteillage
    pour un dernier voyage !
    Emportez donc vos prières,
    distribuez-les avec amour,
    dans le cimetière
    pendant le mise en terre,

    les regrets éternels
    vous feront garder une place au ciel.
    Bien sûr ce n'est pas au même endroit
    … pour faire ce que de droit !...

    RC

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