vendredi 3 novembre 2023

S'étonner, toujours, d'être là avec elle

Hier soir, pluie forte sur la véranda et chats interloqués. Ma compagne me demande si je me souviens de notre première rencontre, de ce qui m'a tout de suite plu en elle. Je dis que je ne me souviens pas de cet instant, quand elle m'est apparue. Je dis que c'est son visage, la beauté qui en émanait, fragile. Qui affirmait une présence. Transfigurait la banalité. Mais j'évoque là une durée qui s'est construite et qu'elle a construite et qui m'a construit, répétant peut-être cet instant suspendu dans une vibration particulière et dont je n'ai plus le souvenir conscient. Il faudrait pouvoir en retrouver les premiers gestes et les premiers mots, qui durent encore sans que nous le sachions depuis plus de quarante ans. Oui. Ce mystère-là, impossible à lever dans la multiplicité des hasards qui y ont présidé. Est-ce cela que nous appelons communément "amour" ? Je ne sais pas répondre. La question est trop vaste, dans le corps comme dans l'esprit. Les arts et les lettres, la philosophie et les sciences en approchent sans cesse les rivages depuis les commencements de l'homme et sans cesse quelque chose se dérobe. L'entendement manque de substance et d'envergure. Reste l'étonnement d'être toujours avec elle, en ces longues durées maillées de concret et d'imaginaire. Et l'inquiétude désormais, dans l'éprouvé de la finitude. Qui pousse les mots à se retourner sur les mots, les dits et les tus, les doux et les durs, cependant que nos paysages réinventés défilent sous nos yeux avec leur grésil de film en super-huit et le bestiaire de nos tendresses. Alors que j'écris ces lignes, l'un des chats interloqués regarde par la fenêtre l'irréalité de la rue puis me regarde. Lui aussi est inquiet. Il a ses pressentiments. Un jour, il ne recevra plus que des caresses à deux mains et il n'y aura plus qu'une bouche pour lui murmurer des coquecigrues. Même la pluie sur la véranda s'enfermera dans le silence.

Image : Brigitte Giraud à Vielle avec le chat Graffiti.

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