vendredi 27 octobre 2023

Pierre Bergounioux & Anaïs Tondeur, Steraspis speciosa / Voir l'abeille, le trèfle

Depuis la nuit des temps, les humains entretiennent avec les insectes des rapports chimériques, entre fascination et répulsion. C'est "qu'ils occupent, par leur forme, leur chatoiement, leurs moeurs invraisemblables et, tout simplement, leur biomasse, le premier rang", écrit Pierre Bergounioux dans Steraspis speciosa.

Après une brève approche anthropologique du concept de parure dans toute civilisation pour palier [la déplorable uniformité des appareils tégumentaires], (peaux de bêtes, coiffures en plumes, dents de fauves, couronnes de fleurs, colliers de pierres précieuses, masques...), l'auteur constate que les insectes n'ont guère été victimes de ce besoin symbolique d'ornement. 

Puis il raconte sa "curiosité passionnée" pour ces délaissés du règne animal et revisite son enfance peuplée de frelons, de cétoines dorées. De papillons. Dont le sphinx colibri au vol stationnaire. Qui "possède la magique vertu de ranimer les heures du commencement". Pierre Bergounioux évoque aussi le diabolique méloé enfle-boeuf dont le poison servit jadis à éliminer des ennemis, en leur offrant des gants talqués de poudre de cantharide. Et c'était une lente agonie, dans la bouffissure des chairs et des visages.

Il existe cependant de rares parures empruntées aux insectes. En 1888, une tragédienne joua Lady Macbeth dans "une robe faite de mille élytres de steraspis speciosa". Un insecte capable de tuer un boeuf ! Voilà une insoutenable beauté, portée à même les frissons de la peau et du drame. Donnée comme un spectacle de la mort en embuscade sous les feux d'une rampe sans bord.

 


Les photographies d'Anaïs Tondeur, intitulées Voir les abeilles, le trèfle, saisissent des instants végétaux ("Voici des fleurs, des feuilles et des branches") qui interrogent la fragilité du vivant dans toutes ses dimensions. Des ors, des bleu-vert et des mauves, quelques suspens cotonneux vibrent au coeur du noir. Le regard perçoit parfois des créatures que les mots peinent à imaginer. De quelles profondeurs d'avant les commencements humains surgit l'inquiétante figure vert-jaune ici reproduite ? Et que dit ce surgissement dans les eaux troubles de la psyché ? De même, les longues nervures des tiges, tangibles ou non, nous rappellent à notre finitude. Avant que le noir de la dernière image éteigne tout...

Steraspis speciosa & Voir l'abeille, le trèfle de Pierre Bergounioux et Anaïs Tondeur est la deuxième publication des éditions Epousées par l'écorce. Un ouvrage de haute qualité formelle pour le prix modique de 14 €.

 

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