lundi 4 décembre 2023

Véronique Kanor, La piel impermeable / la peau étanche

 


D’origine martiniquaise, Véronique Kanor porte en elle l’héritage anti-colonialiste de Frantz Fanon et clame dans sa poésie le droit de vivre en paix comme le fit Victor Jara il y a cinquante ans au Chili. « La conquête de l’occident signifiait la dépossession des peuples indigènes sur leurs propres terres et l’apprentissage d’un nouveau vocabulaire pour les nouvelles générations du sud global, l’abécédaire de la domination où on apprend à étrangler sa langue, à croire que la peau est sale », écrit Victoria Guerrero Peirano dans sa préface à La piel impermeable / La peau étanche.

Et il cite ces propos glaçants de l’auteure : « J’ai appris à ne pas pleurer quand ils insultaient mon père. J’ai même ri avec eux quand ils se moquaient de ma mère. »

La poésie de Véronique Kanor est donc éminemment politique. Son rythme énergique, scandé par de nombreuses anaphores, recourt aux onomatopées et aux néologismes qui font sonner la langue comme un cri. Celui de la colère et de la résistance à l’oppression.  Apprêté à la voix haute, comme par exemple, au Festival d’Avignon en 2023.

Extrait :

El rayo, cómo no lo supe antes, no tuvo infancia

nunca jugó a las canicas con los bolones de estrellas

nunca saltó a la cuerda del horizonte

nunca tuvo la nariz mocosa y una madre que lo suene

nunca anduvo a cuatro patas

nunca nació del vientre de una mujer

 

El rayo nació ya completamente-rayo

completamente-armado

 

Es el origen de los hombres oscuros

la naturaleza contagiosa de los hombres del norte

su única voluntad

 

Hacer sombras

Me hace falta los viejos álbumes de familia, buscar mis primeras sombras

las sombras, las sombras, las sombras

las fotos ausentes de los tatara tatara tatara

de los ancestros arrojados por la borda

o linchados o azotados hasta la muerte

o descuartizados

de los quemados vivos sin razón.

 

La foudre, comment ne l’ai-je su plus tôt, n’a pas connu d’enfance

jamais joué aux billes avec les calots d’étoiles

jamais sauté à la corde de l’horizon

jamais eu le nez qui coule et une mère pour la moucher

 

La foudre est née déjà toute-foudre

toute-armée

 

Elle est l’origine des hommes opaques

la nature contagieuse des hommes du Nord

leur seule volonté

 

Faire de l’ombre

 

Il me faut ouvrir les albums anciens de famille, chercher mes premières ombres

les ombres, les ombres, les ombres

les photos manquantes des arrière-arrière-arrières

des ancêtres jetés par-dessus bord

ou lynchés ou fouettés à mort

ou écartelés

des brûlées vives à tort.

 

La piel impermeable / La peau étanche de Véronique Kanor est traduit en espagnol par Pablo Fante et publié par les éditions Klac avec le soutien de l’Institut Français, de la mairie de Bordeaux et de l’Alliance française à Lima. Le prix du recueil n’est pas indiqué.

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