D’origine martiniquaise, Véronique Kanor porte en elle l’héritage anti-colonialiste de Frantz Fanon et clame dans sa poésie le droit de vivre en paix comme le fit Victor Jara il y a cinquante ans au Chili. « La conquête de l’occident signifiait la dépossession des peuples indigènes sur leurs propres terres et l’apprentissage d’un nouveau vocabulaire pour les nouvelles générations du sud global, l’abécédaire de la domination où on apprend à étrangler sa langue, à croire que la peau est sale », écrit Victoria Guerrero Peirano dans sa préface à La piel impermeable / La peau étanche.
Et il cite ces propos glaçants de l’auteure : « J’ai appris à ne pas pleurer quand ils insultaient mon père. J’ai même ri avec eux quand ils se moquaient de ma mère. »
La poésie de Véronique Kanor est donc éminemment politique. Son rythme énergique, scandé par de nombreuses anaphores, recourt aux onomatopées et aux néologismes qui font sonner la langue comme un cri. Celui de la colère et de la résistance à l’oppression. Apprêté à la voix haute, comme par exemple, au Festival d’Avignon en 2023.
Extrait :
El rayo, cómo no lo supe antes, no tuvo infancia
nunca jugó a las canicas con los bolones de estrellas
nunca saltó a la cuerda del horizonte
nunca tuvo la nariz mocosa y una madre que lo suene
nunca anduvo a cuatro patas
nunca nació del vientre de una mujer
El rayo nació ya completamente-rayo
completamente-armado
Es el origen de los hombres oscuros
la naturaleza contagiosa de los hombres del norte
su única voluntad
Hacer sombras
Me hace falta los viejos álbumes de familia, buscar mis primeras sombras
las sombras, las sombras, las sombras
las fotos ausentes de los tatara tatara tatara
de los ancestros arrojados por la borda
o linchados o azotados hasta la muerte
o descuartizados
de los quemados vivos sin razón.
La foudre, comment ne l’ai-je su plus tôt, n’a pas connu d’enfance
jamais joué aux billes avec les calots d’étoiles
jamais sauté à la corde de l’horizon
jamais eu le nez qui coule et une mère pour la moucher
La foudre est née déjà toute-foudre
toute-armée
Elle est l’origine des hommes opaques
la nature contagieuse des hommes du Nord
leur seule volonté
Faire de l’ombre
Il me faut ouvrir les albums anciens de famille, chercher mes premières ombres
les ombres, les ombres, les ombres
les photos manquantes des arrière-arrière-arrières
des ancêtres jetés par-dessus bord
ou lynchés ou fouettés à mort
ou écartelés
des brûlées vives à tort.
La piel impermeable / La peau étanche de Véronique Kanor est traduit en espagnol par Pablo Fante et publié par les éditions Klac avec le soutien de l’Institut Français, de la mairie de Bordeaux et de l’Alliance française à Lima. Le prix du recueil n’est pas indiqué.
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