mardi 5 mars 2024

Siri Hustvedt, Mères pères et autres (1)


Siri Hustvedt est une butineuse à la fois drôle et méthodique dans tous les champs du savoir où elle tisse des liens. Littérature. Art contemporain. Sociologie. Philosophie. Psychanalyse. Neurosciences et même obstétrique... Son recueil d'essais Mères pères et autres n'est cependant pas une somme assommante. L'auteure, redisons-le, ne manque pas d'humour pour évoquer les souvenirs de son enfance en Norvège, sa mère et son père, sa grand-mère. Ou, encore, son arrivée aux Etats-Unis et sa vie à New York depuis quarante ans. 

Le fil conducteur du livre est la condition assignée par les hommes aux femmes des commencements du néolithique à aujourd'hui. Objectivement et subjectivement. Dans les représentations mythologiques et historiques. Dans les récits littéraires et médiatiques. Dans la relation des sciences, de la plus ancienne à la plus récente. Siri Hustvedt affiche un féminisme lucide et déterminé qu'on pourrait apparenter à celui, par exemple d'Elisabeth Badinter. Un féminisme de co-déconstruction quand il s'agit de déconstruire des a priori, des dichotomies, des attitudes et des actes. Un féminisme de co-construction quand il s'agit d'ouvrir de nouvelles voies au futur partagé des femmes et des hommes alors que, partout dans le monde y compris en Europe, le droit des femmes est de plus en plus souvent contesté. 

Mais laissons la parole à Siri. En commençant par des bribes qui illustrent sa façon de questionner la pensée générale, sans biais oppositionnel.

"Ce n'est qu'à l'âge adulte que j'ai été en mesure de réfléchir au problème de l'omission, à ce qui fait défaut plutôt qu'à ce qui est là, et que j'ai commencé à comprendre que le non-dit peut être aussi bruyant que ce qui est dit."

"Bien que l'on ait longtemps considéré le deuil comme un trait exclusivement humain, des travaux de recherche laissent penser que d'autres primates, les éléphants et certains oiseaux pleurent eux aussi leurs morts, que nous, humains, ne sommes pas les seuls à transmettre des pratiques culturelles de génération en génération." 

"Dire que les gens changent et restent à la fois les mêmes est une banalité. Héraclite, ce philosophe qui vécut à la fin du VIème siècle avant notre ère et dont l'oeuvre n'est parvenue jusqu'à nous que sous la forme de fragments, est sans doute surtout connu pour ces mots, qu'on lui a attribués : "On ne peut descendre deux fois dans le même fleuve." Mais ce n'est pas exactement ce que dit le fragment en question, qui dit en fait ceci : "Dans le même fleuve nous descendons et nous ne descendons pas, nous sommes et nous ne sommes pas." C'est bien plus énigmatique. Le fleuve suit son cours, il s'écoule, et l'eau qu'il charrie ne cesse de changer bien qu'il reste le même fleuve. Je ne tenterai pas d'interpréter le "nous sommes et nous ne sommes pas". Les biologistes parlent cependant d'homéostase, une notion ancienne à laquelle on a donné un nom tout neuf. Elle désigne les ajustements dynamiques qu'opère le corps vivant confronté aux réalités internes et externes et qui lui permettent de continuer d'être ce qu'il est. Il change de manière à pouvoir rester le même." 

Mères pères et autres de Siri Hustvedt est publié chez Actes Sud et coûte 24,50 €.

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