lundi 4 mars 2024

Carine Perals-Pujol, Poèmes inédits

 


Carine Perals-Pujol a publié dans plusieurs revues dont Dissonances (N° 25 sur le thème de la peau et N° 34 sur celui des traces) et La Piscine. Elle a également participé à l'expérience numérique des Vases communicants (allusion à André Breton et à la mécanique des fluides) avec Joachim Séné, Louise Imagine et Christophe Sanchez. Régulièrement, elle poste des textes sur sa page Facebook et nous les aimons. Ils évoquent, notamment, les empêchements du langage et de la langue. Leur flux souvent brisé exprime ce quelque chose en nous qui manque d'ossature et que nous cherchons à rassembler. Pour faire la part de l'ombre dans la lumière.

 

poème par morceaux

pulvérisé ici et là

les bords tranchants à peine de quoi refléter la

lumière

(la lumière, on s'en fout, dit-elle, la femme, et

elle s'en va)

poème par braises

 

et tout est là

*

le poème est incertain / vacille

il tient pourtant il bouge un peu / bascule

 

et dans la main qui l'offre il fait des étincelles

pierre de cuivre trouvée à la rivière jamais tout

à fait exacte

jamais tout à fait régulière

il suffit d'un seul angle à la lumière

dit la mémoire il suffit d'un visage

 

à la lumière

*

il fait silence dans ta ville sous cette pluie qui

ne finit jamais

silence tu disais

dans ta ville que je fouille et visite

continuellement

je cherche les pierres perdues la page écrite ce

qui reste quelque part

qui témoignera de nous

 

qui nous dira

*

on parle comme

on parle

 

dans notre langue le désastre a couvé

longtemps

on en a plein la bouche on / parle mal

quelque chose a dû briser l'échine de la

grammaire on serait verbeux pour un peu

accroche-toi aux voyelles

 

ma langue a des racines ma voix quelle

déconfiture l'aveu nous taraude ma langue est

taupe

on n'y voit rien disait-il et elle le reprenait 

gentiment Mais si quand même, regarde,

et c'est comme ça après tout qu'on parle aux

presque enfants

 

la langue précipitée s'essouffle où va-t-elle

elle est sortie sans sa grammaire et il va

pleuvoir

mais c'est que voyez-vous la grammaire ici

danse

 

et on devient tous un peu gaga

*

il me semble parfois que je vous regarde

depuis l'autre rive,

au bord d'un fleuve intraduisible, vaste corps

d'eau et de tourments.

 

un oiseau fou m'aura posée là, sans doute,

dans l'écart et la stupeur

qui ont rendu la langue impossible.

 

(paroles de l'étrangère) 

*

c'était tellement difficile de parler

à force d'être mêlée au fracas, à force de ne

plus savoir qui fait quoi,

et si c'était moi la faute, l'horreur, l'immonde ?

que vaudrait ma parole ?

 

difficile de parler, et pourtant tracer les lignes 

entre les corps, reprendre son dû, avoir sa

part,

- la parole fait ça, avec patience, avec lenteur.

 

et tout à coup, sans même savoir pourquoi,

parler

 

mais garder en mémoire le péril, le silence

étonné

de celui, de celle qui n'y arrivent pas. 

 

Image : Le propre et le figuré, Hervé Télémaque, 1982, Centre Georges Pompidou

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire