dimanche 21 avril 2024

Prague, trente ans après

Nous étions jeunes lors de notre premier séjour à Prague et la démocratie tchèque l'était encore plus. L'espoir luisait, petit brin de paille dans les yeux et les rêves. Le souffle de la liberté retrouvée ébouriffait les clochers de la ville, ces bulbes fleuris en toute saison. Le pont Charles (Karlův most) ne s'affaissait pas encore sous le poids du tourisme de masse et les promeneurs regardaient les façades colorées, les moirures de la Vltava où les poissons frémissaient encore des anciennes mélancolies.

Aujourd'hui, malgré les menaces qui pèsent sur la Bohème comme sur toute l'Europe centrale, le ciel de Prague n'a pas renoncé aux promesses du velours*. La ville est paisible. La circulation n'assourdit pas le voyageur et les voitures cèdent volontiers le passage aux piétons. Les nombreux tramways, hors d'âge ou ultra-modernes, vont et viennent dans un calme rassurant. Le métro, très propre, ne génère aucun sentiment d'insécurité. D'ailleurs, malgré ses sirènes à l'américaine, la présence policière est assez discrète. 

La relative prospérité économique du pays, taux de chômage à moins de 3%, balance commerciale excédentaire, dette à 30,8% du PIB en 2019 (contre 97,9% en France la même année), explique peut-être en partie cela. On voit à Prague bien moins de sans-abri qu'à Paris et à Bordeaux.


C'est donc dans un climat propice à la flânerie que nous avons redécouvert la ville avec Ilona, marcheuse infatigable et amoureuse de la langue française.  Le café Louvre étant trop bruyant, nous n'avons pas cherché à y retrouver les fantômes de Kafka et de Max Brod. Nous sommes allés nous attabler au café Slavia où Bohumil Hrabal* et Vaclav Havel, parmi d'autres intellectuels, avaient leurs habitudes et leurs conciliabules. Une déambulation littéraire avec cappucinno et croissant fourré à la framboise. 

Un soir, nous avons acheté une bouteille de prosecco  et l'avons bue place Vítězné, en face d'une Bageterie Boulevard où le pain, dit-on, ravit les becs fins. L'ambiance était aussi feutrée que dans un salon. Des jeunes jouaient aux échecs. Des adolescentes entretenaient des murmures amoureux, bercés par le ronronnement des voitures à l'entour et les derniers rayons du soleil. 


Dans le passage Lucerna, nous nous sommes perdus dans les galeries art déco et avons admiré la statue équestre renversée, oeuvre de David Čemý réalisée en 1999 et sobrement intitulée Cheval. Une boutique de tableaux anciens, à peine grande comme une chambre, a étonné notre étonnement. Est-elle vraiment vraie malgré ses dorures ostentatoires ? Aurions-nous osé y entrer si elle avait été ouverte ? Les perceptions ordinaires dans Prague se gaussent bien de l'endroit et de l'envers et on ne sait jamais si ce qui apparaît n'est pas un faux décor. Une cocasserie picaresque du brave soldat Švejk (lire le roman de Jaroslav Hašek), peut-être. 

La ville n'est cependant pas confite dans l'illusion du passé. L'art contemporain, dans les musées et les jardins, sur les îles de la Vltava, y témoigne d'une vie culturelle vibrionnante. Et c'est ainsi que nous l'aimons.

* Allusion à la Révolution de velours du 16 novembre au 29 décembre 1989, qui marque la fin de l'autocratie communiste.

* Bohumil Hrabal est l'auteur de romans dont je conseille ardemment la lecture : Une trop bruyante solitude, La petite ville où le temps s'arrêta, La chevelure sacrifiée... Plusieurs de ses livres ont été censurés par la dictature communiste.

1 commentaire:

  1. Ce saut dans le temps, notre temps amoureux, est un vertige inouï, marcher dans nos pas d'il y a trente années, comme une prouesse.

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