mardi 23 avril 2024

Prague, Preparing for darkness

Une promenade au bord de la Vltava et, soudain, écrits en gros sur un mur de la rive droite, ces mots-là : PREPARING FOR DARKNESS. Alors, on ne regarde plus de la même façon les pédalos en forme de cygne ou de voiture ancienne qui glissent au gré de l'onde. On se dit que les images ne vont pas ensemble. D'un côté l'innocence et la joie. De l'autre, le mystère de l'obscurité, que nous devons peut-être apprivoiser. On s'interdit de penser aux cauchemars géopolitiques. On veut rester dans la douceur de la flânerie. Ilona nous dit qu'il s'agit d'une exposition d'art contemporain au musée Kampa et nous y allons. 

La curatrice de l'exposition, Uwe Goldenstein, accueille 13 artistes [qui souhaitent rompre avec l'abstraction post-moderne en renouant un dialogue immédiatement compréhensible entre l'histoire de l'art et leur univers émotionnel. Ils sont unis par la même volonté de ressusciter la mélancolie en redonnant toute sa magie à l'expérience du visible]. 

Uwe Goldstein intitule son texte de présentation (non traduit en français, grr !) : A generation of artists who work in the spirit of melancholic resistance. Autrement dit, la mélancolie est ici une arme pour lutter contre l'obscurantisme qui menace le monde. Pour mémoire, rappelons que pendant des siècles et des siècles, l'église condamnait l'acédie car elle détournait les individus de l'ordre divin. Dieu a été remplacé par la sous-culture du foot et de la "télévicon" et les grands trésoriers des consciences abêties veillent sur leurs troupeaux. Alors, en effet, la mélancolie peut agir comme une résistance aux empêchements d'être soi.

Ces artistes, nés dans les années 70 et 80, sont pour la plupart tchèques, roumains, hongrois ou allemands. Leur vision commune est celle de l'imaginaire historique de la mittel Europa. Entre détachement et inquiétude. Le réel est moins sûr qu'ailleurs dans un pays qui a été plusieurs fois rayé de la géographie physique. La langue même s'en ressent, qu'elle soit ordinaire ou littéraire. 


Nous avons particulièrement aimé les huiles sur toile du Roumain Radu Belcin, né en 1978. Les corps et les regards, cloués dans l'absence de mouvement, figent ce qui apparaît autour d'eux et glacent l'entendement du spectateur. Une bruyante solitude l'étreint. Parfois, et nous avons pensé à Bacon, des visages craquelés annoncent l'inéluctable défection du vivant.  Quel sens alors, peut-on accorder à l'agir de l'humain ? Quelle place occupe-t-il dans les agencements absurdes du monde si les lieux de la vie secrètent un silence assourdissant ?


 

 

 

 


Nous avons également apprécié l'interprétation de la Cène par Nicola Samorì (né en 1977).  La disparition progressive du Christ réduit à un halo évoque aussi bien la corrosion de la matière picturale (le tableau de Vinci fut maintes fois menacé de délitement*) que l'inexorable révélation du vide. Comme un suspens entre l'idée de la vie et l'idée de la mort. Qui désarçonne tous les apôtres dont le regard effacé annonce la disparition du réel.

* Afin de procéder à des retouches, impossibles avec la détrempe utilisé dans la pratique de la fresque, Vinci a utilisé dans le même temps de la peinture à l'huile. Cette technique mixte altéra rapidement son tableau et il fallut recourir à de nombreuses restaurations. Afin que, selon le mot de Goethe, il ne devienne pas un "cadavre".

 

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