Ecrire dans le noir, contre des portes borgnes où frémissent de longues feuilles blanches. Au sol, quelques points lumineux guident les corps et les mains vers les mots qui attendent le bon vouloir de la poésie. Le silence est calme, le moment suspendu. Quelques notes de musique apportées du dehors pour féconder le dedans. Terje Rypdal et ses After the rain, les lamentos de Jan Garbarek, la fièvre en sourdine de Roberto Fonseca.
Les participants à l'atelier d'écriture organisé par le collectif Pour Le Moment au Poquelin théâtre puis à la Maison cantonale de la Bastide se prennent au jeu malgré les réticences des feutres fluorescents qui coulent comme du Pollock. Ils vont, ils viennent, d'une porte à l'autre, et on entend quelques chuchotis. Quelques bouts de poème s'interpellent. Un loup bleu stupéfait regarde un chat libre qui s'envole. Un peu plus loin s'impose un dîner avec les absents. Du conte pour enfants à la gravité métaphysique, le texte parle au texte et c'est toujours le même étonnement, de l'énergie qui tient ensemble la matière.
Dans un deuxième temps, autour de tables de bistro de l'entrée, la joyeuse troupe augmente la réalité de sa production avec Hadrien Schmitt puis Brigitte Giraud. Les mots sont essayés à voix haute avant de rejoindre le flux. Puis, changement de théâtre, la Maison cantonale. Conçue par Cyprien Alfred-Duprat, c'est un élégant mélange d'art nouveau et d'art déco. La pierre, la brique et le grès y brisent les lignes ; une autre façon d'écrire et de dire l'inexpugnable secret de l'humain.
Après la restitution in vivo de l'atelier dans le noir, le collectif dit ses textes accompagnés au piano par Christophe Marejano et Rémi Letourneur. Les identités ne sont pas déclinées. Les poèmes ne sont pas lus par leur auteur mais par un autre.
Puis, enfin, sous la voûte où le soir glisse un peu, c'est la scène ouverte. Des participants ont apporté un livre ou un carnet. Malou Blue lit quelques pages d'Alice Mendelson. Son recueil L'érotisme de vivre a été mis en voix par Catherine Ringer à Paris comme à Montpellier. A 98 ans, la toujours jeune Alice marquée par la rafle du Vel' d'Hiv, déclare : "Pour bien vieillir, il faut avoir le vice de la joie."
Alain Marc Guillaume, comédien autant que poète joue avec ses feuillets dactylographiés, qui lui résistent. Et nous offre des extraits de son recueil à paraître chez aérolithe éditions, I remember Clifford. Ses textes, souvent longuement dépliés, mêlent subtilement le quotidien le plus intime à l'imaginaire de l'Amérique de James Dean. Et son phrasé, reconnaissable entre tous, un peu grave et un peu goguenard, ravit les auditeurs.
Enfin, c'est en musique que se termine la soirée, avec Lorca chanté et accompagné à la guitare par un vieil Espagnol. Emotion et applaudissements nourris.
"Empieza el llanto
de la guitarra.
Se rompen las copas
de la madrugada.
Empieza el llanto
de la guitarra.
Es inútil callarla
Es imposible
callarla.
LLora monótona
como llora el agua,
como llora el viento
sobre la nevada...
Le collectif Pour Le Moment prévoit d'autres événements en mai et juin et certains, s'ils se réalisent, ne manqueront pas de surprendre le public.
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