Nous ne savons jamais vraiment si les choses nous apparaissent à l'endroit ou à l'envers. Elles ont "le corps abstrait", [le paysage indécis]. Peut-être ont-elles plus de substance quand elles se soustraient au regard et à la marche.
La vie blottie dans le désordre de Lo Moulis, ouvrage d'hybridations textes-images-images-textes, le laisse entendre. Il s'ouvre sur un couloir où le lecteur imaginera des pas perdus. Des voilages, comme des taies sous une lumière qui brouille les géométries, appellent à dissoudre l'attente et au renoncement des présences. Y-a-t-il seulement quelque chose derrière la porte du fond ? Et le livre se clôt sur un autre couloir, plus blafard et rétréci. Le chambranle de la porte s'efface dans le flou. L'être, s'il en est un, est ici un mirage inversé, sans issue. "Entre les pas / on ne possède rien", écrit Lo Moulis.
Peu d'objets font signe au lecteur tout au long du décor : un trottoir, un grillage, un chandelier, des escaliers, des bougies et un verre d'eau, "la porte d'une petite chambre", "une boîte de cèdre" et quelques robes indéfinies dont le tissu résiste mal au vide et à l'oubli. "Aux limites du monde / il n'y a plus de paysage".
Et cependant, même blottie, la vie n'en est pas moins là. A la fois errante et forclose. Errance "dans la neige de la nuit", à la [traversée des mers, des voies ferrées et des dunes] et parmi tous "les lieux défaits". Forclusion dans "les heures plantées à sauver l'infime" et les "cavités du jour" remplies "de mauvaises pioches", les "bâtiments sans fenêtres". Manque et solitude. Ennui. Les cathédrales dont les âmes s'en sont allées. Le vide encore, en sa forteresse contrainte. Le lieu d'un drame à jamais tu ? Le désordre d'un désastre ? "Tu préfères compter les soleils / dans la marge / le limon sur la grève / les os des enfants / ne restent que l'humus / et l'air flottant", écrit Lo Moulis.
Et voilà que toutes sortes de traits, cordes isolées ou pelotes impossibles à démêler, biffures et coulures ouvertes comme des plaies sur papier déchiré, viennent se confronter aux mots du poème et parfois les chassent. On en retrouve quelques brisures manuscrites ou imprimées, souvent hors cadre, parfois illisibles. Pour exprimer l'équilibre précaire du vu et du dit, du non vu et du non dit. Et Lo Moulis referme son livre avec ces mots de Jean-Louis Giovannoni en ses Pas japonais : "Ecrire, c'est se tenir à côté de ce qui se tait.
Extraits :
Lo Moulis, par ailleurs membre du collectif de poésie Pour Le Moment, signe avec La vie blottie dans le désordre (textes et images) sa première publication et son coup d'essai est un coup de maître. Paru aux éditions de l'Aigrette, le livre coûte 10 €.
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