mercredi 2 octobre 2024

Marie-Cécile Fourès, On ira voir la mer demain. Ou dimanche

 


On ira voir la mer demain. Ou dimanche.
, de Marie-Cécile Fourès, est un roman adapté de sa pièce de théâtre Libre(s). Le titre est un fragment du dialogue entre une mère et son fils. Dans un bar désert où le patron lit obstinément son journal. La rue aperçue "à travers la vitrine sale" est déserte dans le petit matin. Il pleut. Comment imaginer "les rues en pente qui mènent au port, un peu plus bas" dans le gris de la pluie ? Comment la mère peut-elle sortir de soi quand l'étau de l'histoire qui la hante et qu'elle hante n'en finit jamais d'outrager ses plaies ? Et le fils, Paul, empêtré dans sa tendresse comme dans son agacement, peut-il concevoir une issue même minuscule à cette violence qui a terrassé son enfance ? Pourquoi cet empêchement de la parole, si fréquent dans les familles quand ça déraille jusqu'au drame ? Il faudrait pouvoir définir un tant soit peu les contours de ce "ça" par nature insaisissable...

Précisons quelques éléments du contexte de cette famille ouvrière en milieu rural. L'usine d'à côté, chez Barrié, fournit encore du travail à la plupart des habitants. "Une aubaine" quand on n'a pas trop fréquenté l'école. La mère, dont on n'apprend le prénom qu'à la fin du livre, est l'aînée d'une fratrie où [elle ne servait à rien]. Ses parents, qui parlaient peu, désiraient un fils. Ils en eurent quatre après elle et leurs photos trônent encore sur "le grand buffet du salon". La naissance, le baptême, la communion, le mariage. Toutes les étapes de la vie programmée, avec ses principes auxquels on ne déroge pas. "Personne n'a jamais fait d'enfant sans être marié". 

Seulement voilà !  Le silence de la parole résonne longtemps dans le tintement des verres de vin. Même les belles-sœurs boivent. "L'alcool, chez eux, c'est une habitude dont on ne cherche pas à se défaire". Alors, se tirer vite fait. Avec les épousailles comme seule issue. Bruno est beau gosse avec ses yeux ardents et son accent chantant du sud. Il parade sur sa mobylette, passe et repasse devant la mère assise sur un banc. Il la regarde, la regarde encore, et le marché se conclut sans un mot. Une autre histoire commence. Les premières plaies ne tardent pas à saigner. Du sang partout. Dans le cœur de la mère et dans celui du fils. Il y en a même sur les marches de l'escalier...

Et l'éternelle grande question du mal est de nouveau posée. Pourquoi et comment Bruno devient-il un monstre ?  Y avait-il en lui une part maudite qui tôt ou tard sortirait ses griffes ? "Tu... tu l'as aimé ? Un peu ?", demande le fils. Hésitant. "Bien sûr que oui ! Je n'ai aimé que lui. Et lui aussi... S'il n'avait pas été aussi jaloux. Et s'il n'avait pas bu autant...", répond la mère. D'un seul trait. 

Le lecteur comprend rapidement que les violences conjugales constituent le sujet du roman. "En 2023 en France, 104 femmes, 13 hommes et 38 enfants ont été tués par leur conjoint/parent", rappelle la quatrième de couverture. Est-ce à dire, paraphrasons Lacan, que l'amour est quelque chose qu'on n'a pas vraiment et qu'on veut l'offrir à quelqu'un qui n'en veut pas vraiment ? 


Une chose est certaine cependant. La mère aime le fils et le fils aime la mère. Mais c'est bien difficile de passer du le et de la au sa et au son. La conversation est parfois houleuse. Il y a des cris. Une chaise  tombe. Quand deux huis clos se rencontrent, abaisser le pont-levis des représentations remparées est toujours douloureux. Peut-être n'en constituent-ils qu'un seul de huis clos, sourdement entretenu par un chimérisme fœtal dont les effets délétères durent jusqu'au dernier souffle de la culpabilité. "On ira voir la mer demain. Ou dimanche. Comme tu veux.", propose le fils. La mère dit qu'elle a mis des livres dans sa valise et il s'en étonne : "Mais tu m'as dit que tu ne lisais pas." 

Ah ! Comment comprendre ce que pèse une valise quand on retourne pour quatre jours dans son ancien chez soi insécure, après toutes ces années d'enfermement et d'hébétude ?  Le foulard bleu offert par Bruno n'est pas si léger. Les petits mots de Paul sur ses cahiers d'écolier sont lourds entre les lignes. Mais il n'y a pas que ça, oh non ! Et le lecteur se bouchera les oreilles, après avoir pleuré. Un autre drame pourrait survenir. En plein décembre sur le sable glacé de la plage. Mais Paul est en alerte. Il prendra sa mère par la main. Elle n'aura plus peur.

L'écriture de Marie-Cécile Fourès est celle de la parole suffoquée. La respiration ne va pas l'amble avec les mots. Le temps presse pour dire. Et le corps de la langue résiste comme résistent les gestes. Il voudrait aller vite, très peu d'adjectifs épithètes dans le texte, mais il trébuche sur les béances des non-dits, se ressaisit, trébuche encore. Même sur la douceur il trébuche...

 

Extraits : 

Il soupire encore. Il a beaucoup de qualités. Mais pas la patience. Il tient ça de son père. Elle voudrait tellement lui parler. Ici, ce sera le mieux. Pas dans la voiture. Pas demain. Ici. Maintenant.

- On n'est pas si pressés, non ?

- Non, on n'est pas si pressés...

- Pas envie d'y aller.

- Je me doute. Mais ce serait bien, depuis le temps que tu ne les as pas vus.

- Ils sont jamais venus me voir. Personne. Pas un ! Personne !

- Je sais...

*

Quand je revenais chez eux, certains samedis, je prenais le premier train. Avec ma petite valise à la main. Dans la gare, j'attendais qu'il soit presque midi pour me rendre à la maison. J'attendais dans la gare. Sans lire. Sans rien faire. Juste à attendre. Et à me forcer à ne pas reprendre le train en sens inverse. Je regardais les gens. J'étais transparente. Je les regardais et personne ne me voyait. Je n'existais plus. 

Plusieurs pages manuscrites du journal intime de la mère et des petits mots du fils accompagnent la lecture du livre de Marie-Cécile Fourès. On ira voir la mer demain. Ou dimanche. est publié aux éditions de La 21ème Saison sises à Toulouse. Pour chaque vente, un euro sera reversé à l'association Olympe de Gouges qui lutte contre les violences conjugales et familiales. (www.olympe2gouges.org). L'ouvrage coûte 12 €.

 

2 commentaires:

  1. Merci pour ces mots, Dominique. Vous n'avez pas seulement lu ce livre, mais disséqué, décortiqué. Je suis très touchée.

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  2. En même temps que ce livre, je découvre un éditeur toulousain. J'ignorais que 13 hommes avaient été victimes. mais est-ce de leur femme ou de leur fils ? Je connais l'association Olympe de Gouges qui fait un travail remarquable auprès des femmes victimes. Merci Dominique

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