Ou Bien, revue au format italien sise dans le vieil Angoulême, présente 15 huiles sur toile et 2 encres de Gwendoline Hausermann. L'artiste trouble les lignes de la figuration et en fait émerger l'abstraction du réel. Ou l'inverse. Le jeu de miroirs des avant-plans et des arrière-plans immerge la figuration, (les visages, les silhouettes notamment), dans l'aperception qui échappe au visible conscient. C'est peut-être là, entre émersion et immersion, que se trame l'énigme du monde depuis les commencements. Comme un flou à élucider pour que l'entendement, à l'épreuve de la lenteur, s'ouvre à quelque chemin... Mais saura-t-on jamais où il conduit le regard ?
Ainsi en est-il de Clairière, reproduite en couverture et page 5. La lumière pâle trame sous les ramures en éventail une inquiétante géométrie. La clairière n'est pas ici une parenthèse dans les remuements forestiers, un sortilège plutôt, dont le dessein opaque restera tu.
Le NoLandScape de la page 14, avec sa matière en fusion piquetée de pubescences argentées, est peut-être, jouons sur les mots, un Land Escape. Le texte en vis-à-vis de Sophie Loizeau lui fait écho : "Je prends des photos en aveugle, des choses qui apparaissent après coup, de petites sphères hautes. La lune est là, s'absente, revient sous une autre forme. J'obtiens une lueur entre les branches, vague, aqueuse".
Sans rivage, dit le titre du tableau de la page 23. La réalité serait donc si liquide qu'on ne pourrait y accoster nulle part ? Des frondaisons dominent un arpent de terre où peine à s'insinuer un méandre timidement bleuté. L'assise d'un banc se devine ; sa fragilité est un suspens. Autour d'elle, des petits animaux manifestent leur improbable présence. Un écureuil furtif, un cheval juché sur une bête blanche. D'autres formes à l'entour, qu'on imagine renversées, cherchent qui sait un corps à incarner.
Quelques personnages traversent aussi les toiles de Gwendoline Hausermann. Le spectateur s'attarde à la contemplation de l'homme immobile dont la main droite est peut-être un moignon puis met ses pas dans ceux de l'homme qui marche jusqu'à l'effacement de son visage. Quand l'un et l'autre seront-ils totalement recouverts par le paysage ?
La revue consacre de nombreuses pages à la poésie dans tous ses états, parfois inspirée des toiles de l'artiste. Ainsi écrit Stenka Morris : "Nous guettions la fonte des arbres / et nulle trace de pas ne venait obscurcir / les allées du jardin // Nous avions dans les yeux des horizons / comme on n'en fait plus / Des rameaux infinis, / rameaux toujours fragiles / prêts à offrir le gain d'été / et partir, / à la dérive, sur un vent sans épure // Il nous semblait que l'avenir était un autre monde".
Parmi les contributions, notons cette observation aussi concrète que métaphysique de Laurence Lépine : "Le temps est enfin venu où le ciel construit ses appentis. Désigne chaque abeille sous le nom de son haut protecteur." Et celle, suffoquée, de Rémi Letourneur : "... je n'ai pas d'autre excuse que la nuit le silence des pierres la lune bronze médaille le clochard son lino en carton les pattes de chiens à l'envers solitude des pavés"...
Marnie Holzer écrit à sa fille le manque qu'elle a d'elle depuis qu'elle est partie : fragments d'habits et de visages, puzzle des mémoires partagées impossible à rassembler : "je vois bien que les choses ont changé / que plus rien n'est à sa place / comme si des bouts de nous / manquaient à l'unité / de ce nous devenu ancien".
Et comment savoir où commence une histoire ? se demande Julie Nakache. "les chairs les genoux écorchés les langues de feu les femmes creusées les hommes empaillés la blancheur des os" ne disent pas l'origine du chaos. Peut-être faut-il la chercher dans une durée qui dure trop longtemps : "Combien de temps pour qu'une voix en atteigne une autre ? Combien de temps ?"
Erick Avert évoque ce que l'ignorance infuse en nous, à bas bruit : "...il y a ces corps qui se frottent et se choquent. Il y a ceux qui éclatent d'eux-mêmes pour n'avoir pas su rencontrer la matière Ceux qui ont tenté le combat contre les étoiles Et ont simplement brûlé".
Claire Médard s'arrête sur l'image du tableau de couverture et s'abandonne au vagabondage : "Trente-six gestes flous / parlent à voix basse / Saint-Germain se réverbère / les néons n'ont plus de prise // Juste la chaleur d'un lit rond / le froissement d'un rideau / Les murs retiennent les secrets / de films jamais tournés".
Enfin, ce portrait de l'artiste par sa sœur Gaëlle Hausermann : "Tu es une petite fille habillée en rose qui construit des boîtes : une boîte qui en contient une plus petite, puis une autre plus petite encore, puis plus petite, comme tes toiles ; il y a plein de couches qui se superposent, et tu enfermes dans ces couches et ces boîtes une image de toi. Le secret est à l'intérieur."
La revue Ou Bien feuille d'art et de littérature est disponible à la vente à cette adresse : www.oubien16.wordpress.com. Elle coûte 9 €.
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