mardi 12 novembre 2024

Gérard Leyzieux, Tout en tremble


Gérard Leyzieux a inventé le mot idéoduc. Même à vide il tourne à plein dans ses "improbables conceptions". Même à plein il tourne à vide  dans les "illusions insaisissables". Et tout en tremble. Mais quel est ce tout ? Et de quoi tremble-t-il ?

Dans son recueil Tout en tremble, le poète reprend le chemin des questions universelles de la philosophie. Le tout est la complexion physique et métaphysique du monde visible et invisible. Le temps comme l'espace sont des [étendues dépourvues de retenues]. De "l'en-deçà de la terre" à "l'au-delà des cieux", n'existe qu'un présent sans parapet dans un "kaléidoscope" indéfini.

Se pose alors la question de l'être et de ses incarnations dans l'étant. D'emblée, Gérard Leyzieux affirme la possibilité du choix. Lequel est constitutif d'une ontologie concrète, existentialiste. "Tu as la totalité du choix / Depuis ta naissance jusqu'à ta mort". La poésie devient précepte voire mode d'emploi pour s'ouvrir à la voie et à la voix, chacun ayant la sienne. "Regarder, voir, écouter, échanger... Actualiser, réaliser, révéler une nouvelle partie de la fresque". Ce qui est déjà là, qui "préexiste" et "postexiste". 

Seulement voilà ! Il y a "Des riens qui sonnent en silence", "Des gestes figés dans le moule de l'admis", "Des yeux qui égarent leurs regards". Grand branlebas dans l'idéoduc et le corps s'en ressent : "Picotements, hérissements, toutes sortes de soubresauts / Incontrôle du mouvement, tu te compresses et t'imploses". Les configurations sonores de la langue résistent à la combinatoire. Les voyelles font bien des cacophonies, surtout les i qui se strient qui se plient cependant que les u cul par-dessus tête vont à hue se croyant à dia. Les o et les a en suffoquent.

Et c'est tout le tremblement. "Tremblement lent sous le vent / Envolement blanc au bout du banc / Les émois décents au fil des ans / Une porte sans battant(s) apparent(s)". Il est infra-cosmique et supra-cosmique. Seule, peut-être, la poésie parvient à en décrire la phénoménologie. Mais "Chaque nouveau pas porte son lot d'aventure" quand "l'élan matinal et ensoleillé" exerce sa volonté, tantôt lente et tantôt plus rapide, comme un jeu de systoles et de diastoles avec ses rumeurs caverneuses et stellaires.

On les entend ces rumeurs dans les 169 occurrences de mots terminés par "tion" et "sion". Souvent regroupées en rimes intérieures  au sein d'un même texte, elles évoquent le fourgonnement de quelque taraud dans l'inconnaissable de la matière. Quelle "direction" prendre ? Quelle "progression" effectuer ? Avec quelle "respiration" ?

L'écriture de Gérrd Leyzieux est un patchwork musical. De longs vers au plus près du dire voisinent avec des considérations métaphoriques élémentaires. "La brume de l'émoi [qui] ne lève jamais son voile" impose à l'homme qui cherche de se situer au mieux dans le flux du vivant : "Selon ta place dans les courants ta mélodie est plus grave ou plus aiguë". De même, le poète joue une partition énumérative sur l'agencement des désordres. L'émoi ne fait pas toujours, clin d'œil aux nombreux jeux de mots de l'auteur, bon ménage avec l'et moi. "Tu es assailli(e), assiégé(e), occupé(e), traversé(e)". Aussi faut-il des pauses dans le tumulte de l'idéoduc ; quelques quatrains aux rimes parfois embrassées s'y prêtent : "Déferlement d'un simple instant / Divaguer en totale complaisance / Le long du large en souffrance / Y déceler le ralentissement de l'élan". Le lecteur appréciera aussi les tercets isolés sur leur page sans appui. Ils ouvrent çà et là des espaces où se ressaisir, entre conscient et inconscient, comme des pas japonais.

Extraits :

Un nouveau paysage se dévoile

Un nouveau décor s'écrit

Un nouveau, un différent, un autre, un mutant

Zone indifféremment résistante et lieu de passage cohabitent

Transition échevelée, transition à la recherche de ses écarts

Fermeté qui se ramollit, s'écroule, s'écoule

Jusqu'aux lacs, mers et océans

Dilution dans la diversité des origines et des parcours

Maculer, souiller de sa patte

Ce qui faisait spontanément consensus

*

Écorce du temps

Couve au profond de ta chair

La note estompée 

*

La pluie est tombée

Sur la feuille une perle

Hésite à glisser

*

Cheminer serein

Les pas marquant le vide

D'avant à après

 

Tout en tremble de Gérard Leyzieux est publié aux éditions Tarmac. Il coûte 18 €.

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